photo: Vignoble en terrasse à Ispagnac (Lozère) ©Florence Monferran
Les Cévenols ne sont pas seulement des reboussiers, résistants aux pouvoirs centralisateurs et aux oppressions. Ils bravent l’adversité de leurs montagnes abruptes comme la rudesse des amplitudes thermiques et les épisodes pluvieux qui portent leur nom. Ils sont aussi opiniâtres. Christel Guiraud, le président de l’IGP Cévennes, le dit en propos liminaire à la presse, réunie à Nîmes. « Nous ne serions pas allés aussi loin sans la ténacité de Christian Vigne », son prédécesseur qui a initié la création de l’IGP, son extension récente comme son identité à part. Cette originalité, née de la constitution historique de l’encépagement, va de pair avec une diversité en bio … et en biodiversité, dans une démarche tendue passionnément vers la conservation et la remise en lumière de patrimoines viticoles. 90 % de l’IGP est déjà certifiée biologique ou HVE, avec pour objectif de passer à 100 % en 2027.

De g. à d.: David Flayol, Christel Guiraud, Jérôme Villaret, 18 avril 2025
Une extension géographique porteuse de nombreux espoirs
Aujourd’hui, les vignerons assemblés se prennent à rêver. L’extension de la zone géographique de l’IGP, jusque-là limitée au Gard, « répare un oubli » Mais elle permet surtout de « reconstituer la grande zone historique du vignoble des Cévennes et plus encore ». Et si la région, sans délimitation administrative, à cheval sur trois départements, retrouvait une entité matérielle à travers la vigne, elle qui est déjà si empreinte d’une unité culturelle ?
L’extension aux cantons cévenols lozériens (40 communes) et aux vignes de Gardois en Ardèche (zone de proximité immédiate) actée par l’INAO après une décennie d’efforts, a pris effet aux vendanges 2024. Elle ouvre tous les espoirs. L’INAO a été convaincu par l’implantation en altitude (entre 300 et maintenant 700 m), la variété des terroirs entre calcaires et schistes, entre versant atlantique, vers le Tarn, et versant méditerranéen.L’IGP veut saisir une opportunité de valoriser ces terroirs cévenols longtemps écartés des évolutions économiques, des mannes financières, des projecteurs médiatiques.
Dès 2005, un appel à projet du Conseil départemental de Lozère avait permis l’installation de deux domaines à Ispagnac. Désormais, une diversification et un apport de valeur ajoutée par la vigne pour les agriculteurs se double de l’implantation d’une viticulture à part entière, « axe stratégique de développement économique pour la Lozère ». David Flayol vigneron au Clos de la Rouvière à Molezon, constate que « cela bouge beaucoup depuis deux ans », Entre Gorges du Tarn et Vallée française, les installations ou projets avancés montent à 15-16 le nombre de vignerons.

Vignes en terrasses au Domaine de Gabalie à Ispagnac ©F.Monferran
Une démarche originale revendiquée
L’IGP Cévennes se concentre sur peu d’hectares et de volumes (200 hl en Lozère). Elle ne vise pas un développement économique d’envergure, mais plutôt à affirmer sa personnalité, trouver sa juste place dans la filière viticole. Elle s’appuie sur une volonté de différenciation. Sa palette de cépages, plus de 90 autorisés dans le cahier de charges, va des internationaux qui ont fait leur preuve sur de sols frais (pinot, chardonnay, superbes sauvignons en Cévennes), jusqu’aux cépages interdits vendus sous le manteau. A elle maintenant convaincre les vignerons de revendiquer sa bannière.
L’IGP tisse un réseau collaboratif, avec l’association Fruits Oubliés, le Syndicat des Hautes Vallées Cévenoles. En 2022, elle se dote d’un Observatoire des cépages patrimoniaux. « Il faut valoriser ce potentiel et accompagner cette logique de diversifier les cépages qui fait la force de la région » affirme Jérôme Villaret, à la tête de ce programme.
Un souci aigu du patrimoine dans toutes ses composantes
D’abord, c’est tout un patrimoine bâti et paysager qui renaît. Les bancels et restanques, ces terrasses retenues par des murets de pierre sèche façonnés à la main, gagnés sur la pente des massifs, remettent en culture des terres abandonnées. Le programme « Treilles et terrasses » s’y attelle. Il est financé sur deux ans par la Fondation Daniel & Nina Carruso.
Les treilles courent des vieux mas cévenols dans les prés, indomptables (et increvables !). Elles sont aussi présentes dans chaque village. Des glaneurs les entretiennent, en échange de la récolte. « Cela touche beaucoup la population locale » remarque David Flayol. Et redonne vie aux rues et aux mas désertés.
Réapprendre ce mode d’exploitation, c’est aussi retrouver les gestes anciens, en polyculture. Les treilles de raisin, avec légumes et fruits poussant sous leur l’ombre, rappellent que la vigne était menée non par des vignerons, mais par les agriculteurs et les ouvriers, pour leur consommation familiale.

Cépage en liberté dans les Cévennes ©F.Monferran
Plongée dans les cépages historiques
Préserver le patrimoine végétal s’avère une priorité. Cépages endémiques, interdits, hybrides, tous étaient voués à l’arrachage, par l’État, par désaffection, par prédominance d’autres variétés. Les reboussiers ont refusé de les arracher. Ils sont encore là aujourd’hui grâce à eux. L’Observatoire s’est fixé pour objectif de les reconnaître, avec l’aide des ampélographes, de les conserver, les multiplier, puis de les vinifier.
Des hybrides résistants aux maladies (variétés anciennes, Bouquet), s’adaptent au réchauffement climatique, villard blanc et baco noir en tête de pont. Mais les cépages endémiques ressurgissent aussi de l’oubli. Le négret de la Canourgue, une déclinaison de gamay dit Branchu, a vu sa demande d’inscription au catalogue français des variétés déposée. Il est enfin testé seul, en micro-vinification, au domaine de Gabalie. Sylvain Gachet l’y a choyé, maintenu. L’Aujaguet, dont 50 souches ont été sauvées à Aujac (Gard) intéresse aujourd’hui l’IGP. Un jour peut-être viendra le tour de la madeleine de juillet, du corbeau ou du portugais bleu…
Bien sûr, le travail de réhabilitation des cépages interdits, impulsé par Christian Vigne, doit être distingué. Ces variétés américaines importées en Cévennes s’y sont tellement plu qu’elles s’échappent des treilles, grimpent tout en haut de châtaigniers, embaument terrasses et chemins de leur odeur entêtante, survivent aux maladies et même à l’arrachage. Autorisés à la commercialisation en boisson fermentée par l’UE depuis 2024, clinton et isabelle, jacquez, herbemont, othello et noah en blanc attendent leur réinscription dans le catalogue européen. « Vignes en résistance » a repris le flambeau des pionniers Hervé Garnier, Daniel Demantéis et Gilbert Bischeri, qui les ont apprivoisés, vinifiés avec soin.
Une démarche en phase avec l’air du temps
Résistant aux maladies, hybrides et interdits, nouveaux cépages doivent obéir à l’impérieuse nécessité de s’adapter au réchauffement climatique déjà perceptible dans les Cévennes.
Mais ils s’avèrent également en phase avec de nouveaux goûts, tendant vers des vins plus frais, plus légers, moins colorés, qui se démarquent des standards. Il n’est qu’à voir l’engouement actuel pour la plantation d’hybrides en tous genres chez les vignerons des nouveaux territoires du vin (Ouest, centre de la France, est) pour comprendre comme les Cévenols ont un temps d’avance.
De plus, ils multiplient les combinaisons en assemblage, jonglent entre leurs différentes catégories de cépages, dont il sort une variété surprenante de goûts. Il en ressort l’idée de produire des vins « qui ne soient pas photocopiables » selon Christian Vigne. Et la dégustation proposée de douze cuvées l’illustre !
Une dégustation probante
Christel Guiraud évoque « des vinifications impeccables, harmonieuses » qui attestent d’une fraîcheur étendard de la dénomination dans les trois couleurs. Ainsi du sauvignon et du rosé syrah-marselan du Domaine des Cabridelles. Un villard blanc sur calcaire et vin nature Domaine de la Vallière et sur schiste du Clos de la Rouvière témoignent des progrès accomplis avec les hybrides et les différences notables entre terroirs. De même, Jérôme Pépin, à Quartier Lander dans le Gard ouvre des horizons avec le G9 (blanc, petit degré et thiols muscatés) et le G14 (rouge souple, sur la cerise), parmi les 13 variétés Bouquet mises au placard qui attendent leur sélection … et un nom.
Les interdits américains démontrent une nouvelle fois leur puissance aromatique, jusqu’à l’écœurement parfois si on ne veille à les assembler. Là, ils expriment un résultat original, faisant souffler un vent de surprise dans nos palais fatigués par l’habitude. Un noah prouve que le long travail de Daniel Demantéis a payé pour sortir cet interdit du purgatoire. En rouge, celui des Cabridelles (isabelle, jacquez, clinton) en fait de même. Ramassés à juste maturité, menés raisonnablement et vinifiés avec brio, les revoici sur nos tables, sans complexe.
La 3e Foire aux cépages patrimoniaux présentera toutes ces propositions le 1er juin à Sainte-Croix-Vallée-Française. Nées de la reconquête de patrimoines et de cépages, en prise avec son temps mais aussi avec son passé peu à peu retrouvé, elles dévoilent des résultats devant lesquels on ne peut que s’incliner.
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Cet article a paru dans le magazine Le Point Vin en ligne le 29 avril 2025 sous le lien suivant:
https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-des-cevennes-une-identite-a-part-29-04-2025-2588536_581.php