A l’aube du XXIe siècle, la vigne et le vin connaissent de nouveaux bouleversements. Le modèle assis depuis les années 1930 tendant vers des vins plus qualitatifs, autour de terroirs et de cépages strictement sélectionnés, s’effrite. De curieux assemblages, nouveau vocabulaire à l’appui avec les blouges, la vière, et des chais nés en ville brassent cépages, couleurs, régions, et associations surprenantes de boissons. Dans ce foisonnement d’idées, la vigne n’est pas en reste. Les cépages y font de la résistance (aux maladies) avec de vieux hybrides, des interdits ressurgis, de nouvelles variétés issues de la recherche génétique.

Ce double mouvement dénote de préoccupations majeures. La recherche de nouveaux débouchés économiques, les impératifs liés au changement climatique, des pratiques soucieuses de moins traiter la vigne par la chimie, la reconquête d’une consommation en berne (moins 70 % en 60 ans) s’amalgament. Sous ces formes émergentes, une recomposition en cours du vignoble français questionne la notion même de terroir.

Blouge, vière et chais urbains: de nouveaux assemblages naissent

Souvent initiés dans la sphère des vins biologiques, biodynamiques et nature, des assemblages surprenants sortent des sentiers conventionnels. Ils proposent des vins légers et frais, en réponse aux changements climatiques. Ils offrent de nouveaux goûts, luttant contre une lassitude des consommateurs face à l’homogénéisation de vins, nivelés par la technique.

Blanc sur rouge, ça blouge dans les vins bio et nature !

Le blouge incarne cette recherche d’un vin léger, sans prétention sinon de se réunir autour d’une bouteille facile à boire. Il échappe à toute règle, ajoutant du blanc au rouge ou vice-versa.  Il allège les rouges, devenus plus alcooleux, plus lourds avec le réchauffement climatique. En effet, l’adjonction de blanc compense le manque d’acidité. La Combe au Mas, en Ventoux et en bio, démontre l’équilibre entre vivacité du blanc et structure du rouge. Blouge de là, au domaine Mirouze-Beauregard, en vin méthode nature incarne en Corbières la légèreté recherchée. Des vignerons s’y essaient avec le même bonheur, de Maxime Gamard en Provence à David Theualis en Vallée du Rhône.

Laurent Bordes, aux Chais du Port de la Lune à Bordeaux, élabore depuis 2020 « The Blouge Brothers » avec , à l’inverse, 90 % de blanc, du sémillon, et 10 % de gamay, alliance burdigalo-beaujolaise. De même, Anne Buiatti, catalane installée près de Bordeaux, mixe 70 % de sémillon avec du malbec. La fraîcheur domine dans l’Allumée, en amphore, biodynamie et vin méthode nature.

En s’y penchant de plus près, ces assemblages ne sont pas si curieux que cela. Les AOP des côtes-du-Rhône ont intégré l’usage de leurs cépages locaux blancs (surtout viognier, roussanne et marsanne) dans leurs vins rouges. Si l’on remonte encore plus loin, historiquement, le vignoble, complanté en cépages noirs et blancs mêlés produisait de raisins vendangés et vinifiés ensemble, déjà confondus. D’ailleurs, en Languedoc par exemple, de nombreux cépages existaient dans les deux versions, dont l’une a été ensuite effacée. Le grand muscat n’y échappait pas, avec ses versions en noir ou en rouge. Certains réapparaissent aujourd’hui, en terret, piquepoul ou carignan.

L’audace rejoint parfois l’histoire en un surprenant raccourci.

La vière monte

Un autre assemblage inhabituel prend forme depuis quelques années : celui de la bière et du vin. Fermentés ensemble, chacun avec ses levures indigènes, les moûts de raisin et de céréales produisent une boisson hybride. L’idée a surgi dans les années 2000 en Italie avec les grape ales de la brasserie Birra Baladin. En France, Rémy Maurin a développé le concept chez Gallia. Les raisins biologiques ou en biodynamie garantissent saveurs et fermentations optimales. La vière est mise en bouteille au printemps suivant.

D’autres essais font jour, liant bière et vin plus ou moins directement. A la Brasserie de Mont-Salève, grenache et syrah s’élèvent 12 mois en barrique avec la bière. A Fronton, Nicolas Baudet ajoute du moût du cépage local, la négrette, avant la fermentation de son brassin.

La vière rejoint les nouvelles hybridations de la bière, tant avec des fruits, que de l’hydromel … sans limite, sinon celle de l’imagination.

Assemblés en ville

Des chais urbains, conçus pour faire du vin là où il est bu, pratiquent des assemblages de vin élargis, sans considération de cépages ou de régions viticoles. Ces chais recherchent, à l’instar de la Winerie Parisienne, des Chais du Port de la Lune ou des Vignerons parisiens, de nouveaux profils qui étonnent le consommateur. Leur terrain d’expérimentation bouscule une tradition séculaire d’origine géographique du vin et de cépages autorisés dans chaque région. Les frontières dessinées par l‘lNAO vacillent.

Ces assemblages de vins sans complexes prolongent un très long travail de croisements de cépages, de variétés de vigne (européenne avec vitis vinifera, américaines voire asiatiques). Le phénomène prend une ampleur particulière ces dernières années. Les cépages résistants occupent le devant de la scène et questionnent le devenir des vignes européennes comme de nos terroirs.

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 25 avril 2024: https://www.lepoint.fr/vin/le-gout-du-vin-se-debride-de-curieux-assemblages-questionnent-le-devenir-des-vignes-francaises-et-de-notre-terroir-25-04-2024-2558668_581.php

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