Dry January, Saint-Vincent, vin et alcool

 

Janvier, un mois particulier pour le vin

Le dry january (janvier sec) est tant décrié pour prôner l’abstinence d’alcool qu’il se mue de-ci, de-là en damp january (janvier humide). Les instigateurs anglo-saxons du concept n’avaient pas prévu que leur version francisée tomberait le mois de la Saint-Vincent, patron des vignerons, ni celui du plus grand rassemblement mondial des vins biologiques. Millésime Bio se tient chaque fin janvier à Montpellier en un rituel installé depuis 30 éditions. Cette année, l’association organisatrice du salon, Sudvinbio, lance même une première « Fête du vin bio » dans les bars, restaurants et cavistes de la métropole, afin de mieux les faire connaître. En effet, le vin doit rester une fête, dans la convivialité et la modération. Rappelons en ce jour de célébration que l’alcool est dangereux, absorbé en grande quantité, qu’il est important de le consommer en responsabilité. Mais nous ne saurions nous laisser dicter nos comportements privés, diriger nos consciences par quelque groupe de pression que ce soit. Les courants hygiénistes actuels devraient eux aussi agir en responsabilité, alors que gronde la colère vigneronne, et celle d’un monde agricole dans son ensemble, à bout de souffle.

Saint-Vincent

Mais qui était Saint Vincent, si honoré ? La légende chrétienne a retenu ce personnage, né au IIIe siècle de notre ère en Espagne. Diacre de l’évêque de Saragosse, il fut arrêté lors d’une campagne de persécutions. Mort le 22 janvier 304 après d’atroces tortures, il est souvent représenté avec la couronne ou la palme du martyr. Saint-Augustin a diffusé son histoire. Le nombre d’églises placées sous son patronage ne se compte plus, en Occident comme en Orient, attestant de son universalité. Une de ses reliques est ramenée en France par le roi Childebert, fils de Clovis. Pour la conserver, il fonde une Église qui deviendra plus tard l’église de Saint Germain des Prés.
La légende chrétienne de son martyr est relayée par la légende bacchique d’une manière plus heureuse, puisqu’elle s’attache à l’histoire du Saint au paradis. Jean-François Gautier la retranscrit ainsi :
« Il régnait au Paradis une soif d’enfer et le digne Vincent redoutait, non sans raison, que cette pépie diabolique se répandit sur terre. Aussi pria-t-il Dieu de l’autoriser à quitter le Royaume des Cieux afin de visiter les vignobles de France. Certains prétendent qu’il commença par la Bourgogne, d’autres qu’il élut d’abord domicile dans les vignes du Bordelais. Ce qui est sûr, c’est que de bonnes âmes surprirent le saint buveur en train de cuver son vin dans la cave d’un clos monastique et allèrent rapporter le fait à Dieu qui enjoignit Vincent de regagner, illico presto, le Paradis. Vincent se garda bien d’obtempérer et Dieu, pour le punir, le changea en statue. » (Le vin, de la mythologie à l’œnologie, Edts Féret, 2003).
Est-ce parce que dans « Vincent »  le peuple entendait « vin « et « sang » qu’il est devenu le patron des vignerons ? ou parce qu’il fut supplicié sur la maie d’un pressoir ? La plupart des pays viticoles perpétuent sa mémoire. En France, les prises de bail en Gironde se déroulaient toujours le 22 janvier. Des Saint-Vincent tournantes le fêtent depuis des siècles en Bourgogne, en Franche-Comté, et plus récemment en Seine-et-Marne, où sa confrérie scelle le renouveau du vin francilien.

La date du 22 janvier choisie pour le célébrer  ne relève pas que de l’anniversaire de sa mort ou d’une légende, qu’elle soit chrétienne ou bacchique. Ce moment est une date charnière dans le cycle végétatif de la vigne. Ainsi, les dictons qui s’y rattachent foisonnent-ils :
« A la Saint Vincent, l’hiver s’en va ou reprend »
« S’il pleut à la Saint Vincent, le vin monte au sarment »
« Prends garde à la Saint Vincent car, si tu vois et si tu sens que le soleil est clair et beau, nous aurons plus de vin que d’eau »
Nous verrons bien demain de quoi il en retournera… dérèglements climatiques en sus.

La modération, version gréco-romaine

Quitte à s’inspirer, pour prôner la modération dans nos célébrations, je préfère aux injonctions anglo-saxonnes les préceptes anciens – fondateurs de nos sociétés gréco-romaines – . Au IXe siècle, le patriarche de Constantinople Photius évoque dans une épître une fable d’Ésope sur les trois raisins du dieu Dionysos. Le premier raisin représente le bon usage, la consommation mesurée, le deuxième, offert à Aphrodite, symbolise le plaisir et la mollesse, et le troisième est l’hybris, la dépendance, la réduction à l’état de bête. Selon le chercheur Ilias Anagnostakis, « ce mythe, qui nous est transmis seulement par Photius, est en fait une variante de la conception antique notoire sur l’effet des quantités de vin absorbé : le premier verre revigore, le second détend, le troisième enivre. »
Hippocrate jette alors les bases médicales de notre consommation : «Le vin et le miel sont merveilleusement adaptés à l’homme si, en santé comme en maladie, vous les administrez avec à propos et juste mesure suivant les constitutions individuelles».

Restons-en à ces sages recommandations, et buvons surtout sain!
Belle fête à tous les Vincent !

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