Renouveau des vins franciliens en Seine-et-Marne

Alors que la filière viticole traverse des temps sombres, l’éclaircie pointe parfois dans une renaissance surprise. Tel est le cas des vignobles franciliens, notamment en Seine-et-Marne qui se distingue par son dynamisme. Pays de gastronomie, le département entretient une histoire méconnue avec la vigne. Présente à l’état sauvage dès la préhistoire, elle est mise en culture par les Romains. Réputés au Moyen-Âge, les vins sombrent dans une production massive avant la Révolution.  Mais un patrimoine viticole ténu persiste, s’immisce dans la toponymie, comme l’illustre la ville de Provins[1]. Au XXe siècle, des villages consacrés en AOC Champagne, l’action déterminante d’associations s’entêtent à offrir des îlots de résistance aux vignes. Si elles se comptent encore en pieds au tournant des années 2000, elles amorcent aujourd’hui une réelle reprise. Les vins de Seine-et-Marne figurent parmi les premiers à obtenir l’IGP Ile-de-France et à être récompensés dans les concours.

Un patrimoine viticole méconnu

Une histoire très ancienne

La réserve naturelle de la Bassée, le long de la Seine, protège des vignes sauvages. Des raisins présents depuis le mésolithique, notamment à Noyen-sur-Seine, intéressent les chercheurs pour améliorer les variétés cultivées.
Bien plus tard, des vestiges livrent la trace de la présence romaine en Seine-et-Marne dans la cité de Melun, avec sa voie romaine.  Châteaubleau possède un théâtre antique, au lieu-dit « Le bois de la vigne ». Une viticulture organisée est installée. Plus au nord, à Bruyères-sur-Oise, un vaste vignoble, implanté entre le IIe et le IVe siècles, atteste de l’inventivité gallo-romaine pour adapter la culture en zone humide, avec ses réseaux de drainage.
A partir des Mérovingiens, la région se couvre de vignobles. On compte 30 000 ha environ au XIVe siècle autour de Paris. Ils prospèrent sur les coteaux, souvent exposés au sud, qui surplombent les nombreuses rivières. Le poète Ronsard évoque en 1553 la vocation viticole de la vallée de la Marne : « Je suis venu près de la Marne ileuse, /Non guère loin de la part où ses eaux /D’un bras fourchu presse les murs de Meaux, /Meaux dont Bacchus soigneux a pris la garde /Et d’un bon œil ses collines regarde… ». Le vin de qualité rayonne dès le Moyen-Âge à partir des dépendances des puissantes abbayes et monastères : Lagny, Chelles, Thorigny, Bussy. Il obtient les faveurs royales et s’exporte vers les Flandres ou la Hollande. De même, la vigne constitue l’activité principale, côté Seine, à Livry près de Melun, ou à Flagy.

Grandeur et décadence d’un vignoble

Pinot et fromentin s’acclimatent bien aux régions septentrionales. Aussi, les vins blancs prédominent, accompagnés de pinot meunier et morillon en noirs. Avec François Ier sont introduits le chasselas de Thomery, et des vins rouges clairets. Dès 1555, ils sont qualifiés selon l’historien Roger Dion de « guinguets », un peu courts, compte tenu de leurs difficultés à mûrir. Ils seraient à l’origine, un siècle plus tard, des guinguettes.
Le vignoble francilien atteint son apogée aux XVIIIe et XIXe siècles. Il compte 52 000 ha en 1852 selon le syndicat des vins d’Ile de France. La viticulture se convertit à une production intensive. Elle assure un vin bon marché, peu alcoolisé mais rude à boire. Gamay et gouais, très productif et résistant au gel, remplacent les pinots.
Mi XIXe siècle, le chemin de fer apporte des vins à prix très compétitifs du Midi. Le phylloxéra, l’industrialisation et l’urbanisation parachèvent la mutation de vignobles franciliens. Peu replantés, ils cèdent la place aux céréales, légumes et pommiers en Seine-et-Marne. La production se réduit à une peau de chagrin. L’étiage est atteint vers 1980.

Les vignes s’effacent fin XIXe siècle pars le phylloxéra. Vincent Van Gogh en fixe la disparition à Auvers-sur-Oise (1890)

Des îlots de résistance au XXe siècle

Du Champagne en Seine-et-Marne

Trois communes du Pays de Brie, Nanteuil, Citry et Saâcy-sur-Marne, font figure d’exception. Elles sont englobées en 1936 dans l’AOC Champagne. Le sol argilo-calcaire propice au pinot meunier, majoritaire, avive ses notes fruitées. 13 vignerons assurent une production sur 92 ha, en partie commercialisée en direct. Un micro-terroir à la périphérie, hier point faible, s’avère aujourd’hui un atout. Il procure un ancrage original, que des générations perpétuent. Chez les Bombart, Gauthier assure la 5è génération.

Des vignobles culturels

Outre ces vignobles familiaux, des passionnés s’attachent à renouer avec les racines d’une culture, à valoriser un héritage. Ce travail de fourmi est amorcé avec la création du clos Montmartre en 1933, puis du vignoble de Suresnes dans les Hauts-de-Seine en 1965. En 2000, on dénombre 92 vignes, sur 7 hectares en tout et pour tout. Leur localisation montre un phénomène de continuité historique : elles se réenracinent là où elles se situaient autrefois.
La confrérie Saint-Vincent à Saint Fargeau-Ponthierry, créée en 1841, renaît en 2006 avec la plantation de pieds de chardonnay, sous l’impulsion conjointe de la municipalité et de bénévoles. Celle des Coteaux briards de Coulommiers entretient un Clos de 300 pieds de sauvignon et chasselas. L’association des Coteaux de la Brossechoie 2000 pieds de pinot noir et chardonnay depuis 2004 à Bussy Saint-Georges, en culture biologique. Elle souhaiterait se professionnaliser pour commercialiser ses vins, notamment de séduisants pétillants. A Combs-la-Ville, 70 bénévoles s’occupent d’un vignoble datant du IXe siècle. L’association Arval de Livry-sur-Seine entretient 400 pieds de chardonnay au Clos des Pierrottes.
Épaulés par des municipalités soucieuses de reverdir leur espace, ils sauvent des vignes de l’oubli tout en reconstituant un paysage. « Une quête commune d’authenticité est constitutive de la mise en patrimoine du vignoble francilien » analyse l’anthropologue Maud Saint-Lary. Dans ces vignobles culturels, une dimension oenotouristique s’accole ensuite aux visées pédagogiques. Le public est appelé à participer à la taille, aux vendanges. Sensibilisé, il se reconnecte aussi à la nature.
Originalité et prouesse de cette relance francilienne, elle intervient dans une zone non viticole sans droits de plantations. En effet, il lui est interdit de commercialiser du vin, sauf pour la ville de Suresnes, jusqu’en 2016.

Un nouveau départ au XXIe siècle

Dès lors, le regain se traduit en initiatives multipliées, donnant corps à des démarches économiques et patrimoniales conjuguées. Une coordination de vignerons franciliens fait jour en 1999. Leur réunion vise à la fois à retrouver leurs racines et à redonner une assise commerciale à la production viticole.

L’association des vignerons franciliens

Menée par un passionné encore, Patrice Bersac, elle lance en 2000 la bataille pour obtenir une identité géographique protégée (IGP). Vingt ans plus tard, elle obtient le précieux sésame. Les cuvées commencent à éclore. Les rouges présenteront une dominante fruitée, avec une légère acidité et de discrètes notes fumées. Blancs et rosés devront exprimer vivacité et minéralité. Pinot et chardonnay sont de rigueur, même si des cépages de nombreuses régions sont autorisés[2]. L’IGP bénéficie d’un contexte où l’agriculture urbaine est encouragée par les élus et plébiscitée par les habitants. Les surfaces plantées augmentent rapidement, notamment dans les Yvelines et en Seine-et-Marne. Cette dernière concentre un tiers des vignobles (56 ha sur 150 en 2022).

Panorama des initiatives en Seine-et-Marne

Ainsi, la Confrérie de Saint Fargeau-Ponthierry est-elle la première de la région à recevoir l’IGP en juillet 2023. Dans la foulée, son blanc Citanguet est médaillé d’or au concours Vignes et terroirs de Île-de-France.
Pierric Petit, menuisier reconverti, s’implante à Chelles en 2019 sur le vignoble médiéval du Montguichet. Il mène 5 ha en bio de pinot noir, gris, chardonnay et maintenant savagnin. Ses premières bouteilles sortent en 2022, en IGP et en circuit court. Le voilà déjà nommé meilleur vin d’Île-de-France sur ses deux cuvées au concours des vins du Parisien et de la RVF en octobre 2023 !
La ville de Guérard comptait 400 ha de vignes au XVIe siècle. Daniel Kiszel, artisan de la renaissance viticole en Île-de-France, replante en 2003 au Domaine du Bois brillant 1,5 ha. Pinot noir et gris, chardonnay « pur reflet de mon terroir » refleurissent dans un cadre du XVIIIe siècle.  Ses vins délicats, en culture biologique et en IGP, trônent aujourd’hui au Fouquet’s.
Au Domaine de Beau Tilleul à Beautheil, Agathe Maury, caviste, a maintenant sa propre vigne de 2 ha. Sur un sol argileux au calcaire propice au pinot noir, elle prévoit aussi du chardonnay et du chenin. Ses vins seront commercialisés en IGP à partir de 2025.

Côté Seine, le Clos de Nonville, près de Nemours, illustre une collaboration entre agriculteurs locaux pour déve lopper des circuits courts. Il inclut 7 ha de vignes. Les productions sont vendues au restaurant de l’hôtel Saint James à Paris dans le 16e. A Melz-sur-Seine, Jean-Michel Bourgoin, au domaine Magalyval, replante pinot noir, chardonnay, viognier et gamay.

Mettre Paris en bouteille

S’inspirant des vins historiques de Suresnes et d’Argenteuil, le chai urbain La Winerie parisienne saute le pas en devenant exploitant dans la plaine de Versailles. Des projets ambitieux se forgent aussi en Seine-et-Marne. Alors que plus de 200 vignobles privés ou parapublics sont dénombrés, un rêve ressurgit : mettre Paris en bouteilles !

 Une réalité viticole future?

Le réchauffement climatique propice à la migration des vignobles vers le nord n’explique pas à lui seul le décollage actuel. L’Ile-de-France expérimente le retour à des circuits courts de vente. Une agriculture urbaine se bâtit dans la proximité. Elle interpelle les réflexions sur la souveraineté alimentaire d’un territoire, enjeu crucial de demain. Un lendemain qui nous dira si c’était bien le modèle d’une nouvelle réalité viticole en gestation qui pointait sous nos yeux, adossée à son passé ressurgi.

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne sous le titre « le renouveau du vin francilien », sous le lien suivant: https://www.lepoint.fr/vin/le-renouveau-du-vin-francilien-07-12-2023-2546196_581.php

[1] Un provin est un sarment couché en terre pour en obtenir une nouvelle souche
[2] Viognier, cabernet-sauvignon, gamay, muscat. Le chasselas y figure également

 

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