Photo: Mondial des vins Khikhvi-winery-gurjaani

Voir le vin en blanc

Le monde du vin bouge à toute vitesse, agité par des mutations tant climatiques, économiques que de changements de goûts, y compris du vin lui-même. Dans une consommation en berne, voir le vin en blanc éclaircit les perspectives. Sa montée en puissance, traçable depuis une quinzaine d’années, connaît aujourd’hui une croissance accélérée.
Les consommateurs inclinent vers des vins moins élevés en alcool, moins riches en calories. Leur préférence va vers des secs, frais, aromatiques, plus souvent effervescents, en rosé et en blanc. En corollaire, ce dernier se prête aux modes de consommation actuels, simples, sans réfléchir, autour d’un apéritif souvent prolongé avec le même vin.
Le Mondial des vins blancs de Strasbourg, qui s’est tenu du 15 au 17 avril entre en résonnance avec cette évolution de fond. Le concours, patronné par l’Organisation Internationale du Vin, rassemble vins et jurés professionnels de renom des cinq continents. Il se doublait, pour son 25e anniversaire, d’une succession de master classes non-stop. En un feu d’artifice célébrant cépages, terroirs, régions viticoles émergentes ou renaissantes, le mondial, unique en son genre, capte des tendances actuelles et futures, jusqu’à l’évocation d’expériences extrêmes : des francs-de-pied kazakhs, ou un vin orange géorgien hybridé avec des vignes sauvages. Christine Collins, directrice du salon, le précise : « C’est notre rôle d’être à l’affût de tendances qui se font et de celle qui s’annoncent. Le concours recherche de la diversité, des vins dont on ne parlait plus, comme le sylvaner en Alsace » Ce dernier se voit couronné par le Grand Prix du jury pour la cuvée 2020 de Xavier Muller, vigneron alsacien.
Plongeons dans cette diversité, vecteur d’un intérêt croissant dans le monde pour des vins originaux, produits d’un lieu, d’un cépage, d’un terroir.

Des cépages

Nous partons pour un tour du monde entier depuis la table de dégustation, à la rencontre d’abord de cépages autochtones. Oubliés un temps, ils traduisent aujourd’hui tant une inclinaison pour l’inhabituel qu’une résistance à l’uniformisation des cépages et des goûts dans la mondialisation des échanges. Nous butons sur les noms, les veltliners, rotgipfler et zierfandler autrichiens, hárslevelu hongrois. L’apéritive ribolla gialla italienne dialogue avec le koshu japonais, à la peau rosée, sans parler des 565 cépages endémiques géorgiens et leurs nombreuses vignes sauvages, à la fois berceau et conservatoire de la viticulture.
Un cépage autochtone comme le riesling alsacien s’exporte aussi. Le premier mondial le démontrait en se consacrant uniquement à lui. De l’Europe centrale et orientale, il pousse jusqu’en Asie, au Kazakhstan, ou aux États-Unis.
La richesse des terroirs transparaît dans la longue évocation des sols, des climats, de géologies aux consonances inaccoutumées, à l’instar du flysch alpin ou du shale creek nord-américain. Elle a installé des régions viticoles partout dans le monde, le long d’une Wine Belt dans les deux hémisphères. Roches volcaniques hongroises et japonaises valsent avec les granits, marnes et grés alsaciens.

Des régions émergentes ou renaissantes

Avec l’émergence des vins blancs, surgissent des régions viticoles ancrées dans des patrimoines très anciens ou au contraire récents. Ainsi de l’Italie, où ils forgent, adossés à la production de cerises, l’essence même de la Vénétie-Frioul. Malvoisie et friulano (ex tocai), le plus identitaire, côtoient le pinot grigio (gris), le plus exporté. Des vins floraux, à la bonne acidité ont en commun « de la grâce » pour Fransceco Bonfio, président des cavistes italiens. En Ligurie, si les Cinque Terre font rêver les touristes, une « viticulture héroïque », à flancs de pentes vertigineuses, veut sortir de l’anonymat grâce à ses vins blancs, vermentino en tête.
Plus loin de nous, des vignobles percent depuis les années 2000. Pour preuve, la région des Finger Lakes américains, à la frontière canadienne, démontre la capacité de la vigne à résister à des conditions de froid extrême, et de grande chaleur estivale. L’effet des eaux profondes, des roches influent sur les cépages, chardonnay ou gewurztraminer emmenés par des allemands et des australiens. Le riesling y surprend par son gras, son fumé caractéristique, son ampleur chez Living Roots Bones à Rochester.
Le Japon possède peu de vignobles, dans 331 wineries seulement. Beaucoup de basaltes, des vignobles en altitude et des vignes en pergola haute délivrent un koshu en pétillant, légèrement foxé (Katsunuma Winery) et gris de gris (château Mercian) avec un léger fumé en bouche, du fruit. Une saveur singulière enrobe notre palais.

D’autres régions émergent encore sur la scène viticole depuis les années 2000. Des pays de l’ex bloc soviétique se tournent vers de nouveaux marchés. La Géorgie convertit le monde aux vins orange, présents à Strasbourg. Avec eux, se diffusent ses élevages ancestraux en amphores et qveris (jarres enterrées). Un vignoble du VIIe s. sur la route de la soie revit au Kazakhstan, sous un climat de très grande amplitude, en altitude. Qui plus est en franc de pied ! Déjà, ces vins d’élite s’exportaient du temps de l’URSS. Aujourd’hui, riesling et gewurztraminer d’Arba Wine plantés dans les années 1950, se hissent au niveau de plus grands.
La Hongrie que Gabriella Orosz présente accole désormais à ses somptueux tokay sur furmint (un Oremus 2013 d’anthologie) des vins secs. Sur des terroirs volcaniques, en cépages autochtones, ils propulsent la croissance de la région. A leur image, toute l’Europe centrale et orientale, balkanique s’enflamme pour les vins blancs (Moldavie, Roumaine, ex-Yougoslavie). La république tchèque, très représentée à Strasbourg, truste 5 médailles sur 11 décernées, dont le prix Vinofed pour Vinarstvi à Ratiskovice, sur chardonnay.
L’Alsace, structurée à 90 % en cépages blancs, démontre que ses vins secs entrent non seulement en phase avec les goûts actuels, mais aussi dans la cour des grands. Des Grands Crus en l’occurrence, créés depuis 1995, présentés par Serge Dubs, meilleur sommelier du monde. Pinot blanc et gris, gewurztraminer, riesling affichent puissance aromatique, fraîcheur délicate, droiture. Les Crémants, créés en 1976, boostent ce dynamisme (27% de la production aujourd’hui).

Une désuniformisation, perceptible au mondial de Strasbourg, couplée à une consommation décomplexée du vin se déploient à l’encontre des normes dominantes. Elles entérinent un engouement grandissant pour les vins blancs basés sur des cépages autochtones, mais aussi ancrés dans un terroir, une géologie et de climats, une identité géographique immédiatement reconnaissables. Combinés, ces éléments créent une expérience unique pour le dégustateur ou le touriste. Nous voyageons avec eux au bout du monde, au bout de saveurs étonnantes. Ce n’est pas un hasard si notre porte d’embarquement se situe au cœur de patrimoines pluriséculaires, de lieux-dits entretenus avec passion et précision, notamment par une culture pionnière en bio et biodynamie. L’Alsace, dont le sens de l’hospitalité n’a rien de légendaire, se tient à Strasbourg en figure de proue, observatrice et annonciatrice de ces tendances. L’avenir s’ouvre avec ces régions émergentes, notamment par leurs vins blancs.

Cet article a paru sur le magazine Le Point.fr le 26/04/2023

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