Photo: Carthagène hors du temps, Mas de Daumas Gassac, @Florence Monferran

Une petite révolution, au milieu des grands bouleversements contemporains, se prépare dans le monde du vin. En modifiant les règles d’étiquetage des vins, l’Union européenne entend rendre leur composition accessible au consommateur. La liste des ingrédients et la déclaration nutritionnelle de ces produits devra obligatoirement figurer sur l’étiquette après le 8 décembre 2023.
40 ans que le vin faisait exception à la législation sur les denrées alimentaires. Sa variabilité, d’une année sur l’autre, d’une cuvée à l’autre, son évolution dans le temps se dérobaient aux règles. La crainte de porter à la connaissance du public des ingrédients peu reluisants ou incompréhensibles jouait également.  Une communication transparente, sensée mieux informer le consommateur sur ce qu’il boit, sera disponible à tout un chacun. La traçabilité, chère à nos sociétés, s’immisce sur les bouteilles.
Ainsi mis à nu, démystifié, le vin ne risque-t-il pas de perdre un peu de son âme, de cette aura indéfinissable née dans le secret des caves ? Au contraire, la transparence sur les intrants présents n’encourage-t-elle à élaborer un vin aux qualités plus naturelles ? Ces questions traversent tous les courants de la viticulture. Mais elles interrogent aussi le consommateur, dans son désir d’être informé comme de voir élaboré un vin plus vertueux.

Le vin démystifié ?

Quoi ? il n’y a pas que du raisin dans le vin ? Le consommateur a pris peu à peu connaissance des traitements chimiques contenant des pesticides, de l’utilisation de cuivre à la vigne. La présence de sulfites dans son verre l’a alerté. Aujourd’hui, avec l’étiquetage obligatoire des ingrédients contenus dans le vin, le chai dévoile un pan de son fonctionnement, de l’entrée du raisin en cave jusqu’à la mise en bouteille. Un pan seulement, dans la mesure où les résidus, ainsi que les auxiliaires technologiques ne sont pas considérés comme des ingrédients. Seuls les additifs seront soumis à étiquetage. Ajoutés au produit de base, ils servent à prévenir ou corriger des défauts. Ils améliorent la conservation, la couleur, le goût ou l’aspect du vin, à l’instar des régulateurs d’acidité, conservateurs et antioxydants, les agents stabilisateurs, ainsi que des gaz d’emballage, qui évitent l’altération du vin.
L’information pourra être dématérialisée à l’aide de QR codes renvoyant à une étiquette électronique. La plate-forme ULabel, par exemple, se met déjà en place au niveau du négoce européen. Adrien Tréchot, fondateur de l’application DansMaBouteille, met à disposition, depuis 2019, la composition et les analyses de vin de vignerons bio sur son site.
Dans nos sociétés, tout se mesure, se contrôle, se trace. Le vin n’y échappe plus jusque sur son étiquette.

Quels effets sur les consommateurs ? 

Comment réagiront les consommateurs à la présence de certains additifs ? Se détourneront-ils des vins, dont la liste des ingrédients sera longue ? Pour l’instant, selon une étude de Wine Intelligence rapportée dans la Revue française d’œnologie (Nov 2021) [1] , ils manquent d’informations sur la composition des vins. Dans l’incertitude plus de 40 % du panel reste neutre et sans avis sur l’étiquetage des ingrédients.
Moins d’un consommateur sur cinq se déclare réticent vis-à-vis de l’utilisation, près d’un tiers reconnait leur utilité (sulfites et autres). Toutefois, l’échantillon marque sa réserve sur les noms à connotation chimique. Sa préoccupation porte sur leur impact potentiel sur la santé. La transparence serait donc plus forte que la méfiance, à condition d’apporter une information claire et succincte sur ces intrants. Aussi, un groupe de travail constitué des principaux acteurs du secteur vitivinicole à l’échelle internationale a-t-il été lancé afin d’envisager une communication étayée sur l’étiquetage des vins.
Certains professionnels s’interrogent déjà sur le fait d’utiliser moins d’ingrédients. A l’image de la pression qu’ils ont exercée pour des vins soucieux de leur santé puis de l’environnement, des consom’acteurs influeront-ils sur la composition désormais connue des vins ? Se tourneront-ils davantage vers des vins biologiques et sans intrants ?

Vin certifié biologique et en biodynamie

Bio et nature, des vins cultivent déjà la transparence

Déjà, des pratiques, certifiées donc traçables, réduisent tant les procédés physiques que les intrants chimiques, notamment en vinification. Ce sont des vins biologiques, de façon plus exigeante en certification biodynamique, jusqu’aux derniers développement des vins labellisés méthode nature. Ces derniers ne tolèrent pas d’intrants en vinification, de levure extérieure à leur terroir. Ils pratiquent une réduction drastique, voir une disparition des sulfites.
Le journaliste Pierre Guigui a sélectionné 400 vins dans son dernier ouvrage, en partenariat avec l’application DansMaBouteille. Le « Guide des vins bio. Le vin et ses additifs en toute transparence » (éditions BBD) propose des domaines certifiés en bio, biodynamie ou nature. Les producteurs ont accepté d’informer dès maintenant le consommateur sur la composition de leurs vins par un engagement sur l’honneur des additifs, auxiliaires et pratiques œnologiques et par la présentation d’un bulletin d’analyse.
Car au-delà de la transparence à travers l’étiquette, il s’agit, pour Pierre Guigui, de « dire ce que l’on fait, et faire ce que l’on dit ». Seules les certifications assurent l’absence totale de produits de synthèse à la vigne et des ingrédients réduits à la cave. « C’est déjà un élément essentiel d’info pour le consommateur ».

Les vins nature font figure de tête de pont dans cette double intention de transparence. L’Association des Vins Naturels (AVN), créée en 2005, invitait déjà ses adhérents à rendre publiques toutes les informations sur leurs vins. En 2020, le label « vin méthode nature » élabore un cahier des charges succinct, compréhensible par tous afin d’éclairer les consommateurs. L’expression « vin naturel » dénonce en creux l’absence de transparence. Même si nous devrions plutôt parler de qualité naturelle, issue d’une transformation du raisin sans traitement chimique de synthèse, à la vigne comme au chai.
Ce mouvement concerne une frange minime de domaines. Mais c’est lui qui a pesé sur la diminution des sulfites dans le vin en général, avec l’AVN ou les vins S.A.I.N.S (sans aucun intrant ni sulfite). Leur charte, dès 2012, rejetait non seulement les additifs, mais aussi les procédés physiques et les techniques jugées traumatisantes qui conduisent à l’élaboration de vins technologiques [2]. Ces procédés, classés en « auxiliaires » ne figureront pas dans la liste des ingrédients du vin fin 2023.

Les auxiliaires, alternatives aux intrants chimiques 

En effet, pour diminuer les intrants chimiques, le vigneron dispose d’alternatives sur lesquelles s’appuyer. 70 auxiliaires sont autorisés, mais très peu en vin biologique, et aucun pour les vins nature. Deux catégories se distinguent : les alternatives aux additifs produites par la physique, et les pratiques œnologiques préventives, comme la bioprotection.
Les auxiliaires technologiques concernent « toute substance volontairement utilisée pendant le traitement ou la transformation du produit pour répondre à un certain objectif technologique », notamment réguler l’acidité, éliminer bactéries et levures. Les agents de fermentation (levures exogènes), de clarification du vin mais aussi le bois sont considérés comme des auxiliaires. Ils aident à l’élaboration, la stabilisation ou la conservation du vin.
La bioprotection concerne des levures qui protègent les moûts de contaminations microbiennes, dans le but de produire des vins sans sulfites. Elle travaille également sur le ralentissement de l’oxydation des vins rouges. Avec elle, s’ouvre une nouvelle voie dans l’élaboration du produit.

Dans le vin, la vérité ?

Aux consommateurs de faire la différence, en toute connaissance de cause, dans la clarté souhaitée par le futur étiquetage des ingrédients des vins.
In vino veritas ? On ne peut s’empêcher de penser à la sentence latine (d’origine grecque d’ailleurs) à l’évocation de cette recherche actuelle de transparence. Gravée sur une porte, dans le palais de la Quinte Essence, François Rabelais la fait sienne non pour désinhiber une parole par la boisson, mais pour chercher une vérité en soi, une sagesse.
Si le vin nous apprend sur nous-mêmes, sur ce que nous devenons, il exprime alors les courants contradictoires que traverse le monde du vin. Entre agri-industrie et productions artisanales, entre plus d’efficacité commerciale, de perfection et plus de vertu, où irons-nous ? Rabelais rejoignait son maître, Erasme, qui affirmait : « le vin est la caverne de l’âme ». Nous y enfouissons bien plus qu’une formulation chimique ou une composition physique.

Vins biologiques au salon Millésime Bio

Notes

[1] Enquête dupliquée dans dix pays représentatifs des principaux types de consommateurs de vin, à savoir Allemagne, France, Espagne, Italie, Royaume Uni, Suède, Russie, Japon, Australie et États Unis. 11 533 personnes (hommes et femmes) uniformément réparties dans les dix pays, sur différentes classes d’âge et consommant du vin au moins une fois par mois
[2] Les techniques stérilisantes ou enrichissantes sont strictement prohibées.

 

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