Vins du Mas de Daumas Gassac, photo Florence Monferran

 

L’arrière-pays de l’Hérault, vivier d’une reconquête viticole (2e partie)

Du Minervois au Pic-Saint-Loup, l’arrière-pays héraultais franchit l’épreuve du temps.

Une reconquête vers l’est

La nouvelle réputation du Languedoc s’est forgée sur des vins rouges, puissants et fins à la fois, fruités, de plus en plus structurés et complexes autour du noyau Minervois-Saint-Chinian-Faugères. De La Livinière avec Maurice Piscicini à Berlou ou Cabrerolles (Château La Liquière, Estanilles), des caves et des vignerons portent le flambeau du renouveau. Pascal Frissant, Michel Escande, Jean-François Issarn en furent les fer-de-lance en bio.
Puis la reconquête se prolonge vers l’est. Abandonnés aux brebis et aux charbonniers, des terroirs délivrent maintenant des vins remarqués. Les domaines ont pris des noms à nous faire déjà voyager : Domaine de l’Accent, des Conquêtes ou de la Mélodie de l’âme, le Mas des Arômes ou des Agrunelles, Le chemin des Rêves. Ils proposent aussi bien des vins de partage, frais, légers, que des cuvées taillées pour la garde.

Aniane, le deux fois né

Aniane fut au cœur du renouveau qualitatif dans les années 1980. Tel Dionysos, littéralement le « deux fois né », voici le village délivrant à nouveau – comme au VIIIe siècle – l’expression d’un terroir incomparable. L’arbousier, emblématique de la garrigue, s’y repère dans les vins vieillissants, comme à Daumas-Gassac ou au domaine de Coston voisin. Des vins singuliers naissent des calcaires lacustres, galets roulés et graves, chez un Olivier Ferrié (Domaine de la Croix de Saint-Privat) par exemple. Le mourvèdre prend des accents de velours, cassis et mûre mêlés, parfois réglisse. Le carignan révèle tout son sens. Les dieux ont soufflé « une culture de l’excellence, le souci du moindre détail » selon Roman Guibert, qui repris le flambeau de Daumas Gassac avec ses trois frères. Laurent Vaillé à la Grange des pères en donnait son interprétation, tel un « Mozart du vin ».
Aimé Guibert avait repéré la minéralité un peu saline des calcaires lacustres qui donnent une typicité vraiment à part. Ainsi a-t-il apporté une culture du blanc tout aussi originale.

Vins blancs et vieux cépages, comme un recommencement

Injuste histoire que celle du Midi rouge depuis deux siècles, oublieuse d’une réputation du Languedoc bâtie sur des vins blancs. Déguster des Minervois, Saint-Chinian et Faugères, également en AOC, frais, tendus, dans la minéralité relève d’un pur bonheur. Et ce fumé si typique sur schistes !
D’abord, la reconquête s’est assise sur des cépages dits « nobles » (merlot, cabernet, sauvignon, chardonnay), les mêmes qui ont fait le tour du monde. Elle légitimait la transition qualitative mais se coupait de ses racines. Certains vignerons n’ont pas voulu, avec entêtement, se défaire de leurs cépages locaux. Malgré leur piètre réputation (carignan noir mais aussi gris ou blanc, terret-bourret, aramon) ou leur désaffection (clairette, œillade et son cousin le cinsault), ils ont été retravaillés dans l’ombre d’un autre renouveau, sur de petits rendements, de vieilles vignes sauvées de l’arrachage.
Ici, Thierry Navarre, vinifiant le servan de sa grand-mère, le Clos Centeilles et ses 23 variétés anciennes nous plongent dans le passé.  Là, un cinsault, comparé au chameau, « quand il n’y a plus d’eau, il survit », s’avère précieux dans le réchauffement climatique.
Ils osent tout, ces languedociens : la counoise rhodanienne, le chenin de Loire (déjà présent au XIXe s) dans des expressions originales et même un retour à l’alicante, cépage teinturier maudit. Le carignan blanc, maîtrisé, réhabilité par les grands, inspire la jeune garde. Le petit verdot, présent dès l’antiquité, accroît son cercle d’adeptes, tandis que des fous de cépages sauvent ici une clairette rose, là un picardan, un gibi rarissime au Domaine des Païssels.

Des vins bio et logiques sur ces terroirs

Comment ne pas voir dans ce retour une prise de conscience du potentiel de sa terre, ses roches, ses cépages ? Ce vaste territoire transversal, de l’Aude au Gard, se fait aujourd’hui l’hôte d’une jeune génération – et de néo-vignerons venus en grand nombre – prêts à toutes les expériences.
La culture biologique s’est très tôt invitée dans ce mouvement. La pratique est descendue du Larzac proche à la suite des luttes des années 1970. Pionnière, elle accompagne la mutation qualitative dans l’arrière-pays héraultais. Hardie, en biodynamie, elle tend vers une recherche de naturalité. Marie Chauffray (Domaine de la Réserve d’Ô) observe après quinze d’expérience que « l’équilibre entre les plantes commence à être optimum ». Le succès des Terrasses du Larzac s’écrit aussi avec près de 70 % de vignerons bio. Des vins nature les rejoignent. Le Château Coupe-Roses en Minervois, le Clos d’Ellis en Terrasses du Larzac, Sybil Baldassare en Faugères blanc, Benoît Braujou l’irréductible à Saint-Jean-de-Fos portent ces recherches de « ce qui accompagne la nature, pour se défendre, mais sans la contraindre » comme l’explique ce dernier. Sans intrants mais avec le cheval, la silice ou l’argile blanche à la vigne, qui sèche l’humidité. Ils pérennisent par leurs pratiques des gestes anciens, soucieux du sol, du vivant, de la ressource en eau. Leur pas en avant audacieux, sans filtration, parfois sans sulfites ajoutés, est aussi un geste de préservation.

Préparer les vins de demain

Ce vivier de  vigneron.ne.s maintient des traditions en les transmutant sans cesse. Les femmes y prennent leur part, statistiquement un peu plus que dans les autres régions françaises. Une Anne-Laure Sicard, les Vinifilles Françoise Ollier en Faugérois, Pascale Rivière en Terrasses du Larzac impriment la patte de sacrées personnalités … et une qualité exemplaire.
Dérèglements climatiques, épuisement de modes de production posent la question de la persistance de nos terroirs. Le Languedoc compte parmi les premiers visés. Mais en véritable laboratoire d’idées, des expérimentations sont menées ici sur des cépages grecs (assyrtiko) et italiens (barbera, nero d’avola) comme sur les variétés résistantes nouvellement créées.
Pas le temps de se reposer sur des lauriers récents, une nouvelle mutation se prépare déjà.La migration de vignobles vers plus d’altitude et plus de fraîcheur a été ici anticipée. Elle se poursuit même au-delà de l’Hérault, dans l’Aveyron, à l’instar d’un Olivier Jullien et son Trescol, jusqu’en Lozère.
L’agroforesterie redécouvre les bienfaits des haies, des arbres et de leur ombre, leur oxygène. Plus loin dans la démarche, l’ancestral triptyque romain vigne/ olivier/ grains est remis au goût du jour par la polyculture. Une véritable révolution pour un Languedoc qui a vécu deux siècles sur une monoculture de masse du raisin. La mutation a ses précurseurs dans l’arrière-pays de l’Hérault, sur le domaine Léon Barral en Faugères, comme ses jeunes adeptes, sur le Domaine de Ferrussac par exemple. Une pratique régénératrice, une autonomie alimentaire de territoires questionnée par la crise sanitaire donnent à cette option toute sa pertinence.

Au cœur de l’Hérault, au cœur de patrimoines millénaires, bat celui de vigneron.ne.s et de vignobles qui se racontent dans le verre. L’oenotourisme renaissant après deux ans de privations, invite partout à en éprouver la qualité. Estivales, balades, musique, théâtre associés, la dégustation prend toutes les formes. Le Festival des Vins d’Aniane, en divulgue à nouveau l’excellence et la beauté au milieu d’œuvres d’art dédiées. Les Terrasses du Larzac innovent avec la création d’une application de visites du vignoble et de ses acteurs.
Fermant les yeux, nous traversons tout l’arrière pays et les siècles, imprégnés de senteurs de garrigue et d’arômes. Tout en haut, surplombant les rivages endormis sous le soleil, en une apogée, brillent des vins du Languedoc.

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 20 juillet 2022 sous le lien suivant: https://www.lepoint.fr/vin/l-arriere-pays-de-l-herault-des-vins-pour-durer-20-07-2022-2483894_581.php

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