Etymologie des Aresquiers

Il a fallu un hasard – comme quoi toute recherche ne procède pas que de méthode rigoureuse – pour retrouver l’étymologie du mot « Aresquiers ». Parcourant les notes de Charles Flahaut sur ses herborisations à Vic-la-Gardiole, apparaît soudain l’explication du célèbre botaniste montpelliérain. Le mot vient selon lui de aresca, l’amorce, comme dans aresca lou peïs, amorcer le poisson, lui-même tiré du latin adescare (appâter). Cette étymologie coïncide avec le lieu, réputé pour la pêche tant en mer que dans les étangs littoraux poissonneux, notamment riches en anguilles. La ressource a d’ailleurs longtemps nourri la population vicoise, fort pauvre, y compris pendant la IIe guerre mondiale.
C’est une autre richesse, touristique aujourd’hui, qui continue à faire des Aresquiers un lieu prisé, en dehors du temps. Mais encore, un terroir viticole hors normes se dévoile à ceux qui, délaissant le littoral, s’aventurent sur le plateau surplombant l’Etang de Vic.

Terroir viticole des Aresquiers

A la découverte du plateau des Aresquiers à Vic-la-Gardiole

Dans un triangle délimité par la mer et les étangs, le Massif de la Gardiole et le Bois des Aresquiers, légèrement en surplomb du cordon littoral, s’étire un plateau de tous temps carrefour de populations et de civilisations où se mêlent terre et eau, forêt et vignes. Reconnu et prisé des montpelliérains pour sa côte sauvage et préservée, ce paysage des plus originaux constitue depuis fort longtemps, au-delà de la carte postale touristique ou d’enjeux environnementaux évidents, un terroir viticole singulier sur la commune de Vic-la-Gardiole.
2 500 d’histoire – et de vignerons – ont modelé le paysage et créé un espace unique, un vignoble en continu qui domine la mer Méditerranée, plonge vers l’étang de Vic et les marais, regarde en face, droit à l’horizon, vers son église tutélaire, Maguelone, bute dans son dos sur le bois classé, vestige de la forêt ancestrale des seigneurs de Cornon, aux premiers âges médiévaux.

Un terroir hors normes

Henri Marès, agronome éminent du XIXe siècle, décrit ainsi le terroir d’Aresquiés : « C’est un mamelon rocheux de 350 Ha (…) comme une sorte d’îlot rocheux tout particulier par le sol et le climat ». Le sol est fait de « garrigues très pierreuses, couvertes çà et là de chênes verts et de plantes odoriférantes. Le roc se brise et se disloque à la surface, formant un mélange variable de terre et de pierrailles » [1]. Le climat est paradoxal : très chaud et sec, mais l’eau, proche, affleure en maints endroits. L’influence maritime joue, mais les terres protégées par le bois, restent à l’abri du mistral et des vents marins chargés de sel. Il y règne un microclimat unique. Intrinsèquement, le terroir des Aresquiers possède donc des atouts majeurs pour la culture de la vigne.
L’encépagement a conservé sa spécificité en muscat à petits grains, installé d’abord en bordure de l’étang, puis vers l’intérieur des terres. Après les ravages du phylloxéra au XIXe siècle, la culture de vignes rouges se développe sur de gros volumes, mais le terroir est replanté également en muscat, alors que la reconstruction du vignoble cède partout le pas à l’uniformisation des cépages. Sur cette terre défrichée et travaillée depuis des siècles par des hommes, les modes de culture en muscat à petits grains sont caractérisés par une absence de mécanisation jusque tard dans le XXe siècle, avant que la machine à vendanger ne détrône, sur les grandes propriétés, les colles espagnoles et estudiantines. Le choix de vendanges encore manuelles en bien des endroits témoigne de la volonté de maintenir qualité et tradition. Fait remarquable, c’est sur le plateau d’Aresquiers que s’opère le passage précurseur en agriculture biologique sur le muscat à petits grains des trois viticulteurs de la cave coopérative, rejoints par le Mas de Jacquet (ancien Mas des Pigeonniers), puis le Domaine du Mas Neuf. Cette connotation environnementale élargit les horizons du muscat à petits grains sur le plateau.

Un passé prestigieux

En parallèle, le passé des Aresquiers donne avec plus de prégnance une consistance historique à l’élaboration de vin, une épaisseur au muscat sur ses terroirs originels. Des vins étendards d’une identité séculaire prennent forme et sens ici.
La première mention du lieu date de 1114. Le seigneur Guillaume de Cornon, partant en croisade, cède aux chanoines de Maguelone le quart de son Bois d’Aresquiez [2]. De la fin du XIIe au XVIe siècles le Chapitre cathédral de Maguelone possède l’ensemble du lieu et de ses ressources, de la mer à l’étang, ainsi que le bois et l’Étang de Maureilhan. Plusieurs lettres papales (1116, 1155 et 1228) le confirment. Un port d’Aresquiers et un château sont mentionnés au XIVe siècle, plusieurs mettéries au XVe et XVIe siècles. (Tudez, Guiraud) qui deviendront des Mas au XIXe siècle. Si Raymond de Cornon y possède trois séterées de terre en 1163, les archives portent trace de vignes, dès 1184, sur les tènements actuels des Cresses [3]. En 1536, lors du transfert de siège épiscopal de Maguelone à Montpellier, le Domaine d’Aresquiez passe au Chapitre Cathédral de Saint-Pierre. Il est inféodé jusqu’en 1589 au Juge mage Pierre de la Coste, puis confié à Jean Darles, notaire royal et secrétaire du Chapitre jusqu’en 1615. Bien que le Domaine soit de peu de rapport, le Chapitre en garde la propriété en livrant une bataille juridique contre les héritiers Darles tout au long du XVIIe siècle.
En 1791, lors de la Révolution, Aresquiez est vendu comme Bien National, en même temps que le Domaine de Maurin, à des dénommés Puech, Noguier, Sabatier et Allut. Un partage effectué entre eux à l’an V (1797) fait de Jean Allut le seul détenteur d’Aresquiez. Un acte de 1810 officialise l’accord. Les terres consistent alors à 20 ha de vieilles vignes, de plus de 45 ans, 28 ha d’autres vignes et 49 ha de garrigues. Il y adjoint une parcelle acquise entre l’Étang de Vic et Tudès. En 1816, le Domaine est vendu aux enchères à plusieurs associés dans un commerce d’eau de vie de Montpellier.L’un d’eux, Louis-César Cazalis, gendre de Jean Allut, devient l’unique propriétaire en 1824 d’un domaine qui, dira-t-il plus tard non sans fierté, fera « ma fortune et ma modeste réputation ». Aresquiés s’étend alors sur 311 ha, et recouvre une grande partie du terroir du plateau des Cresses [4].

Muscat Clos de Miège

Un terrain d’expérimentation pour Louis-César Cazalis-Allut

Les travaux qu’il réalise sur le domaine, la notoriété qu’il acquiert, devenant Président de la société centrale d’agriculture de l’Hérault, font rayonner le nom d’Aresquiers et attirent l’attention sur les vignobles du Midi. De 1816 à sa mort, en 1863, il ne cesse de défricher et transforme la propriété en domaine viticole d’envergure : de 48 ha, la superficie en vignes passe à 160, puis à 180 ha en cinquante ans.
Le travail de valorisation du terroir, basé sur une observation quotidienne de son domaine, mérite d’être mis en lumière : division du terrain après défrichement en vastes compartiments, séparés par d’épais murs de pierre arrachés au sol pour se protéger des vents, que l’on peut encore observer, surgreffage des vignes anciennes pour les régénérer, engrais étudiés, nouveaux pressoirs. Pour cette mise en valeur, Cazalis-Allut va parfois à l’encontre des pratiques traditionnelles et introduit des innovations : usage précurseur du sécateur (dès 1824) pour ne pas abimer les raisins, introduction surprenante de cépages réputés : Pinot (Bourgogne), Cabernet (Bordeaux) et même Tokai (Hongrie). En 1862, il reçoit le Dr Jules Guyot, venu observer son travail pour son Étude des vignobles de France, dans laquelle il ne tarit pas d’éloges sur le Domaine [5].

Si la production de muscats fins à Aresquiers jouit d’une bonne réputation, Cazalis-Allut n’en poursuit pas moins sa recherche de qualité dans la diversification. En vue de nouveaux débouchés, il travaille sur l’élaboration de vins mousseux : « ce moyen a parfaitement réussi pour le Muscat, qui, ainsi traité, donne un vin délicieux et qui se vend très cher ». Il suggère même de faire des Tokai mousseux dans l’Hérault.
La gestion de ce terroir est raisonnée – nous dirions aujourd’hui biologique- : pas d’engrais sur les vins fins, pas d’irrigation car la vigne atteint naturellement l’humidité. En revanche, Louis-César Cazalis-Allut prend grand soin du travail à la vigne : labours fréquents, qualité sanitaire de la vendange, lutte contre les maladies, en veillant à « ne pas se hâter de replanter des vignes arrachées » …
Certaines de ses observations sont à méditer encore de nos jours. Parmi elles, notons :
« Les cépages les plus fertiles ne produisent pas toujours les plus mauvais vins » ;
« Les propriétaires qui récoltent les meilleurs vins du Midi sont ceux qui ont le moins le revenus » ;
« La pratique du mutage (au soufre ou à l’alcool) a beaucoup nui à la réputation de certains crus qui produisaient les meilleurs Muscats (…) La méthode naturelle … est la seule qui permette d’obtenir des vins d’aussi bonne qualité ».

Au XXe siècle, l’historien Roger Dion parle des Aresquiers de Cazalis-Allut comme de « l’un des vignobles exemplaires du Midi » [6]. Après la mort de son propriétaire, le Domaine originel est divisé par les successions [7]. Le terroir, malmené dans le passage à un modèle industriel, continue néanmoins d’être mis en valeur. En 1932, le rapport destiné à la monographie agricole nationale indique pour la commune de Vic : « comme partout, on a recherché la quantité et négligé la qualité. Les Terret-Bourret, Cinsault, Jacquet ont disparu. On ne cultive plus que les Carignan et Aramon. Toutefois son vignoble est encore remarquable. Ses vins sont recherchés, surtout ceux qui sortent des caves des Aresquiers et du mas Neuf. »

Une alchimie prolongée jusqu’à nous

Une partie de la zone bénéficie de l’AOC Muscat de Frontignan à sa création en 1936 grâce à ses propriétaires frontignanais. De même, plusieurs propriétaires vicois seront à l’origine de l’AOC Muscat de Mireval en 1959 (Mathieu au Mas Neuf, Roustan au Mas de Tudès).
Fin XXe siècle, les Aresquiers se distinguent, dans le mouvement qui se dessine pour redonner une identité aromatique au muscat, par la création de muscats secs, moelleux et naturellement doux. Vins rosés et rouges y réapparaissent à la faveur de la diversification, à l’image de celle expérimentée avec succès par Louis-César Cazalis-Allut. Ses Syrah, offertes à Château Carbonnieux, prestigieux Domaine des Graves, n’avaient-elle pas donné des résultats qualitatifs identiques sur les deux propriétés lors de dégustations à l’aveugle ?

L’attachement au terroir ne saurait être réduit à une notion passéiste, de repli sur soi face aux attaques extérieures, d’un modèle industriel, ou de la mondialisation des échanges. Il est, sur le plateau des Aresquiers, source d’innovations qui s’appuient sur des éléments culturels et des personnalités fortes, à l’exemple de Cazalis-Allut, et sur un passé millénaire. L’histoire apporte un éclairage sur la lenteur avec laquelle il s’est construit – il a fallu des siècles d’expérience -, sa spécificité : la vigne a été plantée là par choix, par observations de générations en générations, elle n’est en aucun cas le produit du hasard. Mais sa spécificité porte en elle sa fragilité : le terroir des Aresquiers, comme l’ensemble des vignes de Frontignan à Mireval, est pris en étau entre la pression touristique sur le littoral et l’expansion démographique qui ronge ses marges. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, lois et dispositifs multiples protègent le lieu, son bois, en site classé, son environnement géré par le conservatoire des espaces naturels et du littoral.
Les terres agricoles, tout particulièrement la vigne, y ont prospéré par les soins de l’homme pendant des siècles jusqu’à atteindre de grands raffinements. Des raffinements qui prenaient déjà en compte leur environnement avec Louis-César Cazalis-Allut. La combinaison d’une spécialisation précoce en muscat à petit grain, de productions visant l’excellence, de peu de mécanisation, d’une culture biologique crée une alchimie. Bio et histoire se marient décidément sur le plateau des Aresquiers, pour conserver la magie d’un lieu où tout a commencé.

Ce texte est extrait du Breuvage d’Héraclès (Editions Privat), mon ouvrage sur les terroirs historiques du muscat à petits grains paru en 2020.

[1] Œuvres agricoles de Cazalis-Allut, Notice biographique, Paris, Victor Masson, Montpellier, Gras, 1865
[2] Une note de l’Abbé Rouquette fait état d’une bulle papale de Pascal II, en 1109, qui mentionne un silvum aresquarii. Abbé Rouquette, Bullaire, Tome 1
[3] Bertrand de Montlaur baille et remet à Octon de Cornon et au chapitre de Maguelone tout ce qu’il avait par droit d’engagement aux biens donnés par Octon au Chapitre, à savoir :  une vigne située au terroir de Vic, lieu appelé « al cros » [les petites pierres], confrontant d’orient et d’occident avec vigne d’Estienne Durand et du midi aux vignes de Guillaume Guibert et vigne de Pierre Galduc. Cartulaire de Maguelone, op.cit.
[4] ADH série 100 J
[5] « Il est impossible de parler des progrès de l’agriculture dans l’Hérault sans citer M. Cazalis-Allut, qui en est un des plus habiles promoteurs depuis 1816, où il a créé son magnifique vignoble d’Aresquiés, jusqu’à ces derniers temps. » Dr Jules Guyot, op. cité
[6] Note sur les origines de l’invasion phylloxérique en France, bulletin de l’association des géographes français, 1970
[7] Son fils Frédéric conserve une partie des terres et des bâtiments (Mas vieux), deux de ses sœurs construisent le Mas neuf. Jeanne Delphine construit le Lac (Mas rouge)

 

Share and Enjoy !

Pin It on Pinterest