Vin antique, cépages, Gaule

Fouilles préventives et archéobotanique, nouvelles approches en génétique révolutionnent nos connaissances sur les cépages antiques. Le climat et les potentialités naturelles en Gaule transalpine conditionnent l’adaptation des variétés importées ou la création de nouvelles variétés.

 

Le matériel végétal

Les auteurs romains nous décrivaient les grandes familles de vigne jugées les meilleures, comme les aminées de Campanie exportées en Narbonnaise ou les apianes donnant le muscat. Mais des cépages naissent en Gaule.L’allobrogica, entre vallée du Rhône et Suisse, est adapté aux hivers vigoureux. Son grain mûrit à la gelée. Les Allobroges en tirent leur fameux vin poissé. Les Bituriges créent une variété bien adaptée aux climats froids et humides : la biturica. « Cépage sans renom » selon Pline l’Ancien, cette vigne féconde qui vieillit bien se répand pourtant dans le Berry, dès le Haut-Empire, dans toute l’Aquitaine jusqu’à Burdigala (Bordeaux). Comme la Caburnica, qui passe la floraison en un jour, ou l’helvenaca, en Narbonnaise, ces cépages sont typiquement gaulois., Inversant l’apport ampélographique à l’instar des courants commerciaux, leurs plants particulièrement féconds fournissent de nouveaux cépages à l’Italie et dans l’Empire.
Les pépins gorgés d’eau retrouvés au fond de puits, avec leurs contours, moins déformés que ceux des pépins carbonisés, ouvrent de nouveaux champs d’investigation.

 

Les cépages, enfin !

Aux analyses morphométriques qui différencient vigne sauvage et cultivée, s’ajoute la comparaison possible de ces pépins et de ceux de cépages actuels. En effet, outre un séquençage des grains anciens, les chercheurs commencent à construire une base de données génétiques de nos cépages. Ainsi, dans l’Hérault, les pépins s’apparentent aux groupes de la clairette, de la mondeuse blanche, de cépages continentaux aujourd’hui (merlot, arvine, pinot, savagnin, petit verdot. « La biodiversité actuelle de nos vignobles est donc liée à des choix faits il y a près de deux millénaires » résume l’archéobotaniste Jérôme Ros.
Les pépins champenois étudiés par une équipe internationale présentent également des types sauvages et d’autres affiliés aux variétés méridionales sur les premiers trois siècles de notre ère. Le climat d’alors, plutôt doux, a sans doute favorisé ces migrations.
L’analyse d’ADN ancien révèle donc que le matériel végétal en place est encore valable aujourd’hui !

 

Des vins à foison

Des quantités astronomiques de vin sont produites en Gaule. 40 % des amphores qui circulent sur le Rhône sont gauloises. Elles alimentent Rome, peuplée d’un million d’habitants en milliers d’hectolitres. Le passum (passerillé), le defrutum, qui rappelle nos vins cuits, le mulsum, miellé, ou le picatum, proche des résinés grecs y affluent.
Les expérimentations menées au Mas des Tourelles à Beaucaire (Gard) confirment le goût antique pour les vins les vins en surmaturation, qui se conservent mieux, pour les rancios. Les vins obtenus se rapprochent ainsi des vins jaunes et autre xérès.
Le soufre est sans doute la seule substance à laquelle les Romains n’ont pas pensé comme intrant ! Ils font feu de tout bois – ou poix- pour stabiliser le mieux possible le vin :  plâtre, eau de mer, pour leur pouvoir antiseptique, mais aussi aromates, épices, plantes aux vertus médicinales. Tout ce qui parfume, comme le fenugrec, ou masque les mauvais goûts, à l’instar de l’iris est utilisé, sans doute dans des dosages plus modérés que nous ne l’envisagions.

 

Des musées comme écrin

Parfois, les fouilles, aléatoires, mènent à l’exceptionnel. Ce sont deux mosaïques d’intérêt majeur découvertes lors de fouilles préventives qui motivent la création du Musée de la Romanité à Nîmes, inauguré en 2018. Face aux Arènes antiques, il sert d’écrin à la mosaïque de Bellérophon et à celle de Penthée (début du IIIe siècle), mis à mort pour avoir méprisé Dionysos. Le musée offre une lecture vivante de l’empreinte de la civilisation romaine en Méditerranée. En 2021, il est rejoint par Narbo Via à Narbonne. Outre des collections remarquables, une plantation de 65 variétés de vignes présente l’évolution des cépages depuis l’époque romaine.

 

Des origines approchées

A partir du IIIe siècle, Rome marche vers son déclin. Les vignobles reculent, le commerce décroît en Gaule. Mais la viticulture s’adapte à de nouveaux arrivants dès le Ve siècle, poursuivant son odyssée. Les avancées archéologiques complètent des chapitres entiers de cette très longue histoire qui lie vin et sociétés en France.
Les origines de la viticulture suscitent un intérêt certain, boosté par les prouesses scientifiques. La viticulture ne serait pas seulement héritée des sélections et diffusions du monde gréco-romain. Des vignes sauvages continuent à être utilisées et vinifiées à côté de la vigne domestiquée dans l’antiquité en Narbonnaise, au Moyen-Age encore en Champagne, et même jusqu’au début du XXème en Corse.

 

Un autre regard sur les gaulois

A travers la viticulture gallo-romaine, surgissent des vignerons accomplis, s’adaptant, créant des cépages toujours présents 2 000 ans plus tard, généralisant l’usage du tonneau. Des peuples raffinés créent des services à vin précieux, à l’instar de celui, aux treize pièces de bronze, d’Argentomagus (Saint-Marcel, Indre).
Est-ce parce qu’ils organisent des expéditions vers Rome pour l’acquérir, comme Brennos au 4e s. avant notre ère, ou qu’ils le boivent pur, sacrilège ! Les Celtes acquièrent la réputation d’ardents soiffards, confirmée par une grande consommation lors de grands banquets, sur plusieurs jours. En fait, celle-ci, occasionnelle, sert à sceller des alliances, dans un usage social et politique du vin.
Une image de barbares chevelus, brutaux, est diffusée dès le début de la conquête de la Gaule par Rome, puis relayée pendant des millénaires. Un récit national écrit sous la IIIe République parle ensuite des Gaulois comme d’une nation, plutôt que de peuples celtes, reliés par un système économique complexe. L’archéologie redéfinit les contours de ces sociétés, leur identité, un autre récit  dans lequel le vin s’immisce pour créer, en un essor durable, nos vignobles actuels.

 

Renaissance de vignobles par la redécouverte de leur romanité

En franchissant le Rhône, trois vignerons de Côte-Rôtie redécouvrent, rive gauche, le vignoble des Allobroges. Ils y bâtissent en moins de trente ans une nouvelle histoire, en passe d’obtenir l’AOP, et une nouvelle économie : toute la production est vendue par allocation à travers 35 pays.
De même, le négociant Gérard Bertrand lie patrimoine et démarche économique en remettant en lumière la Clairette du Languedoc. Une production originale en bouteille de céramique d’inspiration antique sert d’écrin au plus vieux cépage connu en France dans sa collection « Art de vivre ».

Remonter le fil de cette très longue histoire nous ramène à notre propre actualité. L’archéologie nous ressource, ces trente dernières années, à l’omniprésente de la vigne dans nos paysages, du vin dans notre économie.  Elle nous en rappelle à la fois l’ancienneté, la vitalité, la fragilité. Quels cépages pour affronter les changements climatiques? Quelles capacités d’adaptation sommes-nous capables de produire face à nos défis propres ? Laissant parler Jean-Paul Demoule, étudier le passé, « c’est perpétuer la longue chaine de ceux qui ont vécu avant nous pour jouer notre rôle dans la continuité de l’évolution de groupes humains. Et si on imagine qu’on est un maillon de la chaine, c’est que la chaine va aussi se perpétuer »

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 26 mai 2022: https://www.lepoint.fr/vin/et-le-vin-gallo-romain-jaillit-dans-la-lumiere-26-05-2022-2477165_581.php 

Lire aussi la 1ère partie: https://lesclosdemiege.fr/2022/05/le-vignoble-antique-en-gaule-une-revolution-silencieuse/

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