De la grappe brandie par le cep tourmenté, lourde d’agate transparente et trouble, ou bleue et poudrée d’argent, l’œil remonte jusqu’au bois dénudé, serpent ligneux coincé entre deux rocs : de quoi donc s’alimente, par exemple, ce plant méridional qui ignore la pluie, qu’un chanvre de racines retient seul suspendu ? La rosée des nuits, le soleil des jours y suffisent – le feu d’un astre, la sueur essentielle d’un autre astre – merveilles…
Colette (1873-1954), Prisons et paradis (1932)

Je ne connais pas plus patrimonial que lui en Languedoc. Il s’y est sans doute installé, sur les rivages, avec les Phocéens. Il a porté l’histoire de cette contrée, sa renommée dans le royaume et par-delà les mers. Il s’est invité sur les tables les plus prestigieuses, têtes couronnées, papes, sultans ou président des Etats-Unis, grands écrivains qui en ont saisi l’ensorcelante senteur. Il a servi de phare dans toutes les tempêtes qu’a connues le Midi viticole, de référence permanente et incontournable pour bâtir un vignoble de qualité après la IIe guerre mondiale. Toujours debout quand tous les paysages se bouleversaient autour de lui, ce n’est qu’à l’entrée du 3e millénaire qu’il faiblit. Ses terroirs se réduisent comme une peau de chagrin, la désaffection des consommateurs est à peine endiguée par ses efforts de diversification et des techniques de pointe.

Et pourtant, ô muscat, que n’a-t-on bu à ton calice, que ne t’a-t-on célébré ! Ta mutation en culture biologique a révélé l’ampleur de tes arômes, ta suavité, ta puissance, les contours d’une finesse inégalée. Alors je poursuis ce travail persévérant, entêté à te louer, te pratiquer, tel que les anciens te choyaient. Ce week-end, comme tous les week-ends pascaux, j’ouvrirai ce flacon venu des siècles de ta splendeur à Frontignan, reproduits aux Clos de Miège depuis 2013. Foie gras du Gers et chocolat noir seront encore au rendez-vous. Je lèverai mon verre à la vie, au vin sans cesse renaissant.
Belles fêtes à tous !

 

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