Vins biologiques, bio dynamiques, vins nature

2e partie: en mode « off »

Chaque début d’année, en un rituel installé, Montpellier se transforme en capitale mondiale du vin biologique avec le salon Millésime Bio. Dans son sillage, une constellation de « off » prend son orbite. Avides de renouer un contact direct, les professionnels s’y sont précipités. Ces évènements, véritables baromètres, captent le sens du vent comme des vagues de fond en train d’éclore. Nous y avons assisté à la montée de la biodynamie, à l’arrivée des vins nature, à un attrait grandissant de la bio. Les consommateurs l’ont d’abord plébiscité par souci de leur santé (sondage Ipsos pour Millésime Bio fin 2015). Aujourd’hui (même sondage, fin 2021), les préoccupations écologiques et éthiques – favoriser une filière plus équitable- motivent en premier lieu l’appétit de vin bio.

Délaissant chiffres et conjectures économiques, bravant un biobashing récurrent, la culture, de plus en plus partagée, s’affiche partout avec la même sérénité. Des productions artisanales venues de toute la France et de l’étranger exposent leur diversité, leurs choix culturaux, dans les lieux historiques du vin à Montpellier, anciens grands chais à Mauguio, prestigieux Domaine de Verchant ou Folie de Flaugergues. Le cœur battant de la bio y envoie toute sa vitalité, avec ses vins connectés à la terre, à la nature environnante.

Un vin vivant

Il ne s’agit plus de domestiquer la nature, mais de l’accompagner, en exaltant un sol vivant, le travail avec les animaux, des tailles et des surgreffages doux, une vendange manuelle. Ces vins entretiennent un rapport fort au terroir à travers deux éléments forts présents dans les salons : les cépages locaux anciens, et la délimitation parcellaire.

Altesse et jacquère, mondeuse et persan en Savoie, pineau d’Aunis en Vallée de Loire, tressallier de Saint-Pourçain, savagnin et poulsard du Jura, clairette et terret-bourret du Languedoc participent au renouveau de régions délaissées devenues les plus dynamiques et innovantes en France. Avec le mauzac à Limoux, « On utilise les cépages locaux pour créer des vins authentiques qui retracent une histoire, un patrimoine » résume Marc Leseney, au Château Marco, en biodynamie depuis 40 ans. Laurence Alias, à la Closerie des Moussis en Médoc, entretient castets, saint-macaire et cabernet goudable, mais aussi des vignes pré-phylloxériques sur sables dans la cuvée Baragane, hors du temps. Des francs de pied, Thierry Germain en plante même depuis 2004 au Domaine des Roches Neuves à Saumur.

Vin d’un lieu

Ce grand biodynamiste, qui a contribué à faire connaître vins orange et amphores en France, magnifie la culture de clos, comme celui de l’Echelier sur calcaires turoniens, ou sur Mémoires, vieilles vignes dominant la Loire et les forêts. Il rêve de recréer murets et délimitations parcellaires dans l’appellation Saumur, au sein d’une fondation. Comme lui, Catherine et Pierre Breton travaillent, en Touraine, sur des cuvées de lieux dits (le Clos Sénéchal,Les Perrières). A Chinon, Pascal Lambert les élabore sur calcaires coquilliers.

A l’instar des jeunes vignerons alsaciens indépendants qui cartographient leurs lieux-dits, Éric Thill travaille également en parcellaire sur son domaine jurassien. Emmanuel Giboulot en cote-de-beaune place la parcelle au-dessus de l’appellation, et pas que sur l’étiquette de ses vins. « Être le plus respectueux », c’est aussi valoriser son terroir en distinguant toutes les nuances qui le composent, comme à La Combe d’Ève, qui porte le nom d’un Climat propre au sein d’une parcelle. Pour Marc Leseney, « les cultures biologiques traduisent plus précisément et authentiquement l’effet terroir ». Même si certains en doutent scientifiquement, la dégustation nous transporte dans cette invitation au voyage dans les plus petites limites de leur terre. Y naît une multiplicité de goûts du vin, d’explorations infinies.

Des vins libres

Si tout se joue, ou presque, à la vigne, c’est à la cave que le travail de ces équilibristes du vin s’avère le plus rigoureux, dans une nécessaire intervention humaine pour transformer le raisin, mais limitée. Les élevages en amphores côtoient les œufs en béton, pour le gras et la souplesse, le béton et les fûts anciens. Refusant les techniques ou procédés touchant à la structure du vin, ils se passent aussi d’intrants, jusqu’au sans sulfites ajoutés. Ils perpétuent ainsi le défi, immuable pendant des millénaires, de stabiliser le vin pour le conserver.

Pour Isabelle Jomain, organisatrice de Biotop Wines qui côtoie ces vignerons audacieux, « le sans sulfites n’est pas une fin en soi, mais l’aboutissement après des choix de toute une vie ». Leader dans l’affirmation de vins libres, Sébastien David, lui, a commencé à travailler ainsi aux États-Unis pendant sept ans, guidé par un maître de stage qui ne voulait rien mettre dans le vin. Près de Saint-Emilion, Pascal Amoreau, ne craint pas d’utiliser sa parcelle historique devant le Château Le Puy pour élaborer un Barthélémy sans soufre, dynamisé par bâtonnage selon un calendrier personnel.

Des vins vibrants

Quel que soit le degré d’intervention, un vin à mains nues jaillit. Éric Thill résume la biodynamie en « une expression très sincère des vins », qui « donnent de la longueur et de la fraîcheur » sur les rivages de la Méditerranée pour Pierre Mann au Mas des caprices. Isabelle Jomain le confie : « J’entre en résonance avec ces vins. Il y a autant de biodynamie que de biodynamistes, des vignerons investis, passionnés, amoureux de leur terre, de la vie ». Elle réunit aujourd’hui 120 vignerons autour de ces valeurs, une même philosophie qui donne sa cohérence et sa qualité au salon. Finesse, persistance aromatique, droiture, minéralité sont bien au rendez-vous.

Avec tous ces vignerons présents quelques jours à Montpellier, reviennent les anciens vins de soif, de buvette, requalifiés en glouglous. Le goût du vin se fait goût des autres. Vins sans prétention sinon de partager, ou de la plus haute exigence sur son terroir et dans ses pratiques, ces cuvées répondent à un appel de la terre, les pieds sur terre dans un monde tourmenté. De bons cépages aux bons endroits, une multiplicité de goûts accompagnent de nouveaux modes de production mais aussi de distribution, par la vente directe et chez les cavistes.

Une multiplicité de goûts

Loin de la standardisation des dernières décennies, un rosé de saignée, pur merlot gastronomique du château Le Puy côtoie un tressallier de Terres de Roa de Loren Tisserand ou les cépages savoyards de Camille et Mathieu Apffel. Un gamay Roche de Py Morgon de Camille Lapierre, sur une roche-mère granitique s’adosse à de vieux grenaches de 130 ans d’Anne-laure Sicard au mas Lasta. Un chardonnay Grande Châtelaine 12 mois sur lies d’Emmanuel Giboulot dialogue, tout en longueur, avec un vin de paille d’Éric Thill, tandis qu’un VDN Rivesaltes sur schistes de Pierre Mann réveille le prestige du Roussillon.

La culture biologique affine se pratiques, gagne en qualité, creuse des sillons plus larges d’une biodynamie pas toujours liée aux préceptes de Rudolf Steiner. Elle expérimente sans cesse, déconstruit ou provoque, repousse les limites avec les vins nature. En se démultipliant, elle enrichit le champ de nos connaissances et de nos envies. Juste une envie de bio, à Montpellier.

Une synthèse de cet article et de la première partie a paru sur Le Point.fr le 15/03/20021:
https://www.lepoint.fr/vin/vins-a-montpellier-de-bio-lendemains-15-03-2022-2468260_581.php

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