Photo: vignoble du Mas de Rouyre à Saint-Martin-de-l’Arçon (Hérault)

La vigne et le vin, demain

De grands défis nous attendent à l’échelle de la planète. Une fable cinématographique sortie à la veille de Noël, Don ’t look up, cristallise nos dénis. Pourtant, nous entrons à l’horizon 2050 dans la perspective de changements irrémédiables à moins de modifier en profondeur nos modes de production et nos comportements d’ici la fin de la décennie.Pour sensibiliser consommateurs et citoyens à ces défis, l’agriculture, qui assure notre subsistance, offre une porte d’entrée privilégiée. A la fois vecteur et première victime des grands bouleversements, elle doit négocier un tournant majeur de son histoire.

Une filière viticole très structurée, encadrée, y figure en pointe. Pourtant, à la différence des autres secteurs agricoles, elle ne nourrit pas. Mais le vin s’est ancré dans nos cultures comme élément essentiel d’un art de vivre, d’un supplément d’âme qui s’avère aujourd’hui fer de lance des mutations les plus capitales. La filière fait front aux aléas climatiques comme à l’usure de modes de production avec une inventivité jamais démentie. Réactive et créative, la profession s’est très vite sensibilisée à la nécessité de faire bouger les lignes. Un double tournant s’opère après la COP 21 à Paris, fin 2015. La prise de conscience d’une nécessaire et urgente adaptation aux changements climatique coïncide avec le basculement significatif vers une consommation élargie de vin bio.

Iere Partie: tous sur le pont face aux urgences !

Un sombre constat

En 1972, le rapport Meadows pointait dans sa modélisation systémique l’épuisement possible d’un modèle de croissance qu’on croyait illimité. Ses scenarii les plus pessimistes sont d’ores et déjà dépassés. On le voit avec acuité dans l’agriculture, dans son recensement décennal. Elle accuse une baisse de 20 % des exploitations, compensée par une augmentation de leur taille, poursuivant la voie de son industrialisation. La filière viticole résiste mieux à la baisse des exploitations, sur des surfaces moyennes plus petites (19 ha, contre 69 ha en général). Mais en 50 ans, plus de 400 000 ha de vignes ont disparu, dont la moitié dans une seule région : le Languedoc-Roussillon [1]. La France perd un domaine viticole sur 6 en dix ans. Des sols et des plantes à bout de souffle pointent l’épuisement du modèle intensif. « On cultive sur les mêmes sols depuis des siècles, en monoculture, avec un recours massif à la chimie depuis les années 1960 » constate le chercheur de l’INRAE Jean-Marc Touzard [2]. Les engrais chimiques, qui remplacent le fumier en agriculture intensive, les pesticides s’avèrent néfastes à la santé et aux écosystèmes. En outre, les rendements n’augmentent plus et même baissent. La vigne dépérit, avec un taux de mortalité qui atteindrait 10 %. Au stress environnemental, s’ajoutent une taille trop agressive, un manque de diversité des cépages et des plants, produits par clonage.

En corrélation avec les activités humaines, l’urgence climatique s’intensifie selon le 6e rapport du GIEC. Les jeunes générations nous interpellent sur la terre que nous allons leur laisser, dans un contexte de pandémie mondiale. La température moyenne en France a déjà augmenté de + 1,4° depuis 1900 (+1,2° à l’échelle mondiale). S’y ajoutent une pluviométrie modifiée (plus de pluie au nord, moins au sud), une variabilité du temps et plus d’évènements extrêmes. La compétitivité des vignobles est menacée. La pérennité de terroirs est remise en question. Les impacts du changement climatique s’intensifient aussi dans les vignobles. Le Projet Laccave, lancé en 2012 pour les étudier, en liste les effets. Un développement de la vigne plus précoce, des stress hydriques plus prononcés par manque d’eau et évaporation, des vins plus alcooleux et moins acides, aux profils aromatiques et à l’équilibre modifiés en sont les marqueurs principaux. Ils induisent des réactions en cascade, sur la biodiversité, les paysages, mais aussi sur la gestion des risques, la rentabilité économique.

Documents INRAE « La vigne, le vin et le changement climatique en France, mis à jour 31 août 2021

Protéger les ressources 

Autour du projet Laccave : 24 unités de recherche, 90 chercheurs, deux pôles, Montpellier et Bordeaux. Tout le monde est convoqué – pour la première fois – sur le pont. Une armada prend la mer, pour dix ans. Spécialistes, vignerons, institutionnels, associations se rassemblent dans un projet interdisciplinaire et participatif inédit. La filière sert de modèle de réflexion comme de gouvernance. Les dernières années, le projet se penche sur les solutions et les innovations possibles. Pour s’adapter, il pose d’emblée que ces solutions peuvent se combiner entre elles, à toutes les échelles, du local au national. Il n’y aura pas un modèle, imposé à la filière, mais une multitude d’adaptations. Un seul mot d’ordre : agir collectivement et solidairement. Suite aux consultations, 2 600 idées proposées servent de base à un document d’orientation générale, remis au Ministre de l’agriculture le 26 août 2021.

Se mettre au vert

Les résultats sont présentés publiquement depuis fin 2021. Le projet propose de restaurer les sols (enherbements maîtrisé, apports organiques d’azote), renouveler et diversifier les cépages, plus tardifs, plus résistants, créés ou anciennes variétés. « La gestion du sol a peut-être été laissée un peu de côté à l’INRAE, mais c’est vraiment une question viticole centrale » reconnaît Jean-Marc Touzard, copilote du projet [3]. Des changements de pratiques dans tous les domaines sont explorés. Aller vers une agroforesterie, gérer la circulation et la recharge en eau, et pas seulement irriguer, adapter les vinifications pour obtenir moins de degré et plus d’acidité, par une œnologie corrective, avec de nouvelles recherches sur le microbiote, diversifier voire relocaliser les implantations de vignobles, en altitude par exemple, ou en Bretagne, dans le Nord, élaborer de nouvelles stratégies économiques gérant notamment les risques, associer les consommateurs … Aucun sujet n’est laissé de côté. Un élément novateur s’invite dans la réflexion : veiller à l’atténuation des effets des changements. Réduction des émissions de gaz à effet de serre et capture du carbone entrent dans tous les programmes.

                                                                                                                             Document INRAE 31 août 2021

Une culture biologique pionnière, aujourd’hui en phase avec les consommateurs et l’urgence environnementale a mis en action quelques-unes de ces pratiques dès les années soixante et surtout les années 1980.  Cette décennie marque, pour les chercheurs, le point de bascule du climat, victime des effets d’inertie de l’industrialisation de la planète après la IIe guerre mondiale.

IIè partie: réparer le vivant

L’alternative biologique

Culture à la pointe s’il en est, le bio fonctionne par essence par anticipation, cherchant à protéger des maladies avant qu’elles ne surviennent. Les exploitations bio ont triplé en dix ans. Elles recouvrent en 2021 12 % des surfaces agricoles. Le secteur viticole affirme son essor, comme en témoigne l’Étude de l’Observatoire européen et le sondage commandés par Millésime Bio (octobre 2021). La consommation de vin bio s’intensifie, alors que la consommation globale de vin baisse : 48 % de européens en achètent, 53 % des Français. Et plus d’un tiers en achète fréquemment. Ce qui fait dire à Nicolas Richarme, président de Sudvinbio, l’association organisatrice du salon Millésime Bio : « On est passé d’une consommation de curiosité à une consommation installée, structurelle ». L’offre monte en puissance, les marchés suivent. Le marché de 3 milliards d’euros en 2000 est passé à un marché de 13,5 milliards d’euros aujourd’hui. Ses consommateurs sont prêts à payer plus cher un produit qui préserve l’environnement, et à favoriser une filière de production plus équitable. Le bio conforte un modèle vertueux, porté une philosophie de vie.

Les cultures biologiques ne se contentent pas de renoncer aux pesticides, aux engrais chimiques, voire aux labours. Les pionniers ont inventé le compostage, pratiqué le pâturage des bêtes et la traction animale, générateurs d’engrais organiques. Ils ont remis en route une agroforesterie qui rétablit des symbioses végétales, un équilibre autrefois obtenu par la complantation des espèces.
Car une des préoccupations de la culture biologique, pilier du vivant, réside dans la régénération et la fertilité des sols. En bio, « tout vient du sol. (…) Du sol dépend la santé des plantes, des hommes et de animaux » résume Claude Aubert, ingénieur agronome pionnier. Soucieuse de notre santé comme de notre environnement, elle agit pour une biodiversité retrouvée, une diversité des vins aussi.
La culture biodynamique, pilier d’un équilibre retrouvé, en soi, et avec les autres plantes conçoit la bio dans une approche holistique. Elle laisse libre cours à l’expression du raisin. Silice, plantes, composts et engrais naturels, eau dynamisée y sont substituées à tout produit de synthèse à la vigne. L’absence d’intrants chimiques en cave rend l’exigence d’une hygiène irréprochable, une précision, une rigueur dans les gestes, jusqu’à pouvoir se passer de sulfites ajoutés sans apport de la technique ou de la science. La pratique recueille de plus en plus d’adeptes, Millésime Bio l’avait démontré « en présentiel » en 2019.
Renonçant également à une œnologie corrective, des vins dits nature, défricheurs de terres inconnues, se dépouillent de tout ce qui modifie la structure du vin, jusqu’à sa filtration par exemple. Des vins nus en quelque sorte, vivants bousculent les codes de dégustation, s’affranchissent de cadres rigides. S’ils font figure de farfelus, tels que les vignerons bio paraissaient il y a 40 ans, ils initient de nouvelles conceptions du vin et du goût.

Une viticulture régénératrice 

Une viticulture à la pointe des explorations, tant sur l’adaptation au climat que sur la nature même du vin, s’offre en exemple pour repenser notre modèle agricole.

L’Atténuation 

Le mot risque devenir tendance. Il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre. La filière viticole n’est pas celle qui en émet le plus. Elle le fait surtout par la bouteille et le transport, puis les énergies utilisées. L’installation de circuits courts, les recherches sur une bouteille sans verre (lin, papier recyclé, etc.), le recyclage sont autant de voies empruntées. Pour aller plus loin, la réduction passe par la capture de carbone dans les vignobles. En effet, le carbone est naturellement assimilé par les végétaux à la vigne. Il retourne à la terre par compostage des déchets. Instaurant un cycle vertueux, le vigneron laisse une empreinte positive de son action sur la nature. Il rompt par cette implication avec l’image d’une viticulture vilipendée pour ses impacts destructeurs.

Polyculture et nouveaux modes de production

La diversité des cultures, leur rotation, soulage le sol, fertilisé par différentes sources d’apports. Elle installe une autonomie alimentaire sur laquelle se penchent beaucoup de territoires, avec une actualité prégnante par temps de pandémie. Maraîchage, fruitiers, ruches, voire élevage se mêlent à la vigne dans un paysage recomposé. Plantes médicinales et aromatiques y poussent comme des champignons pour nous dispenser leurs bienfaits.La permaculture s’appuie sur un ensemble de méthodes visant à l’interaction des écosystèmes naturels. Elle repose aussi sur une éthique pour des habitants humains plus autonomes, durables, résilients. Le modèle viticole, certes à la pointe lui aussi, est transposable à toute l’agriculture, selon Alain Malard (Vigne, vin et permaculture, 2021). Une viticulture productive, mais avec un impact positif sur la terre – l’air, l’eau, le sol, la biodiversité – s’installe dans les esprits et dans les faits. A l’ONU, la Food and Agriculture Organization rappelle que permaculture et polyculture offrent plus de rendements à l’hectare.

Mas de Rouyre à Saint-Martin-de-l’Arçon (Hérault): une vision biologique en polyculture, dont élevage

A l’horizon 2050: c’est déjà demain

Le recensement agricole décennal le montre, nous assistons à une course (de vitesse ?) entre deux modèles, « les animaux et les robots ». L’industrialisation de l’agriculture, basée sur les énergies fossiles, se poursuit, avec des agri-managers, de nouvelles biotechnologies alimentaires. Robotique, numérique, génétique articulent les révolutions désignées par le Président de la République, Emmanuel Macron, pour son Plan France 2030 [4]. La culture biologique elle-même est traversée par deux évolutions. Les nouvelles technologies, pour pallier l’absence d’intrants, conserver rendements et rentabilité économique, cohabitent avec le recentrage sur le vivant.

2050, c’est l’échéance fixée à la COP 21 à Paris pour parvenir à la neutralité carbone. A cette date, les vignobles se seront-ils alors adaptés aux profonds bouleversements en cours ? Des systèmes de pensée globale, interdisciplinaire, participative se mettent en place pour y parvenir. La stratégie nationale d’adaptation de la filière viticole, dans la continuité du projet Laccave, veut croire au maintien d’une viticulture liée à un terroir, mais innovante pour les préserver. Pour Nicolas Richarme, « la viticulture a toujours été en pointe » par rapport au reste de l’agriculture, et le bio à la pointe de la filière viticole : « c’est à Millésime Bio qu’on trouve le futur du vin ». Le salon renouvelle la prouesse de 2021 de se tenir en virtuel, mais aussi cette année en présentiel, décalé du 28 février au 2 mars. 1 400 exposants, 20 pays, une planète bio converge à Montpellier pour son rendez-vous mondial.

L’urgence climatique ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. « Le point-clé, ce n’est pas de faire de l’énergie propre, parce qu’avec un bulldozer fonctionnant à l’énergie solaire, on peut raser la forêt amazonienne » martèle le physicien Aurélien Barrau (Global Economic Forum ,2019). « Ce qui compte par-dessus tout « c’est de comprendre que la vie vaut pour elle-même ». Une partie de la filière viticole se transforme en profondeur en ce sens, modèle pour les autres secteurs agricoles et pour une autre façon de produire sur terre, préservant espèces et patrimoines.

Cet article a paru dans le magazine Le Point.fr en deux parties les 25 et 26 janvier 2022
Partie 1: le constat: https://www.lepoint.fr/vin/la-vigne-et-le-vin-a-l-horizon-2050-le-constat-25-01-2022-2461920_581.php
Partie 2 : https://www.lepoint.fr/vin/la-vigne-et-le-vin-a-l-horizon-2050-reparer-le-vivant-26-01-2022-2462225_581.php

 

[1] C’est la mutation d’une monoculture de masse en un vignoble de qualité aussi.
[2] Conférence du SITEVI à Montpellier, 30 novembre 2021
[3] Conférence du SITEVI à Montpellier
[4] 6e objectif : Agriculture

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