A l’avant-garde d’un renouveau 

Une vitalité viticole jaillit, qui mérite de s’attarder sur les formes qu’elle revêt, confrontée à des enjeux contemporains tant climatiques, sanitaires, que commerciaux. Elle s’appuie sur le maintien d’un potentiel de production à plus de 3 millions d’hl chaque année, sur des piliers qualitatifs entérinés par des AOC et IGP, mais aussi, et c’est ce qui séduit aujourd’hui les consommateurs, sur un dynamisme dans ses modes de production.

Une vitalité dans les modes de culture
Biologique, à la pointe de recherches, les modes de culture défrichent de nouveaux territoires, ou prennent des chemins parfois inattendus.

Un Gard plus vert
Le terroir s’y prête, avec un ensoleillement intense, un mistral gagnant, qui assèche, fait barrière naturelle contre le botrytis et le mildiou. La montée d’une génération de jeunes vignerons ou viticulteurs en caves coopératives, de néo-vignerons le conforte. Les réserves mondiales de biosphère en donnent la responsabilité.
10 000 ha en bio ou en conversion, presque 20 % des surfaces en vigne (25% dans les Costières, la moitié des vignerons de Signargues). Les Côtes du Rhône AOP lancent un objectif zéro désherbant dans les vignes en 2019. Deux présidents d’IGP, Christian Vigne en Cévennes et Christophe Aguilar en Coteaux du Pont du Gard, sont des vignerons bio.  Figure de proue, avec 33 % des productions bio du Gard, la vigne trace la voie d’une culture soucieuse d’un environnement particulièrement précieux et protégé.
Le Gard compte dans ses rangs la plus grande coopérative de vins bio de France, Les Vignerons d’Héraclès à Vergèze, à la vision industrielle assumée. Un « Bio Plus » même y est pensé, selon les termes de Jean-Fred Coste, leur président, soucieux de « toujours conserver un temps d’avance ». Voisin de la source Perrier, propriété du groupe Nestlé Waters Sud, Héraclès mène avec lui depuis 1994 des plans de gestion de l’eau, de biodiversité, d’agroforesterie aujourd’hui.
Un autre programme, qui vise à protéger les abeilles et la biodiversité unique des Cévennes, conforte un projet de territoire. L’obtention d’un label Bee friendly  sert aussi une valorisation des vins produits dans un partenariat entre l’IGP et le leader Gérard Bertrand.
Quelques pionniers ont tracé une autre route, en biodynamie, sans intrants en cave, peu ou pas de sulfites ajoutés [1]. Souvent labellisés Nature et Progrès, bien avant l’arrivée de la certification AB, les Coste, Julian, Beau, Eyraud ont ouvert la voie à l’éclosion de pratiques à contre-courant des modèles établis. Les vins nature se concentrent aujourd’hui dans quelques viviers, autour de Sommières et d’Uzès, ou dans les Cévennes.

Un Gard plus résistant
Neuf cépages résistants entrent dans le cahier des charges de l’IGP du Gard en Juillet 2019 [2]. « C’est le début de grands changements« , annonce son président, Denis Verdier. Les IGP misent surtout sur quatre créations pour lutter contre les maladies : les cépages floréal, voltis, artaban et vidoc. Mis au point après une quinzaine d’années de recherches par l’Inra avec le support de l’école d’agriculture de Montpellier, l’ICV et l’IFV du Grau-du-Roi, mettront-ils fin à l’usage des pesticides, et celui, sur la sellette aujourd’hui, du cuivre ? Les chercheurs prévoient d’attendre une quinzaine d’années pour obtenir des résultats probants.

Un Gard interdit
Tout au Nord, dans les Cévennes sauvages et rebelles, quelques fous de leur terroir et de leur histoire n’ont cessé de cultiver des cépages interdits. Ces variétés américaines avaient sauvé le vignoble du phylloxéra, avant d’être accusées de tous les maux pour bâtir une nouvelle viticulture dès l’entre-deux-guerres. Noah, clinton, isabelle, adoptés, grimpent encore le long des châtaigniers et des murets. Cultivés par des vignerons, promus par l’Association Fruits Oubliés et un film documentaire, Vitis prohibita, de Stephan Balay. l’IGP Cévennes voudrait les réintroduire dans son cahier des charges, créer des vins en assemblage à l’identité unique.

Une vitalité dans l’élaboration des cuvées
Qu’elle soit née d’une culture biologique, qui exalte les arômes, magnifie le terroir, ou de potentiels spécifiques, comme une acidité plus marquée sur les rosés, plus de fraîcheur, des vins plus tendus en bouche, une vitalité s’exprime dans l’élaboration actuelle des cuvées dans le département, plus particulièrement sur les vins blancs.

Un Gard plus blanc
Les Côtes du Rhône gardoises seraient-elles l’avenir des Côtes du Rhône ? Philippe Pellaton, président du syndicat des Côtes du Rhône, vice-président d’InterRhône, (mais aussi président de la Maison Sinnae à Laudun-Chusclan) exprime leur volonté de rééquilibrer les couleurs des appellations Côtes du Rhône. 75 % de la récolte 2019 est encore dédiée au vin rouge contre 10 % aux blanc et 15 % au rosé. « Apporter plus de fraîcheur à la consommation des rouges ou changer de couleur pour plus de blanc » tel est l’objectif affiché en 2020.
La rive droite du Rhône, gardoise, a déjà bâti une solide réputation autour de ses vins blancs, aromatiques, à la structure ronde et souple, conservant une grande fraîcheur. Les Lirac blancs, remarquables par leur extrême diversité, née de multiples cépages méditerranéens emblématiques [3], profitent des sols arides de garrigue qui leur donnent élégance, finesse et complexité aromatique. A Signargues, les blancs, sans AOC, entretiennent aussi les cépages anciens, à l’image du piquepoule, de la clairette rose ou du picardan. Que dire de l’AOC cotes-du-rhône Village Laudun ? Si elle produit essentiellement de très jolis rouges, elle a conquis ses lettres de noblesse grâce à ses blancs, là encore d’une étonnante fraicheur.
39 % des cuvées en AOC Costières de Nîmes sont aujourd’hui produites en blanc, d’une grande finesse. Les vins blancs cévenols – tout comme ceux de l’Ardèche voisine- soufflent un vent de fraîcheur minérale, à découvrir. L’avenir appartient-il aussi à ces vins plus en altitude, moins soumis à la sécheresse ?

Une vitalité collective
De l’époque de la monoculture de masse, de volumes exorbitants, subsistent … des caves coopératives qui ne cessent de se transformer. Quelques grands ensembles se forment, à la force commerciale décuplée. En côtes-du-rhône, le regroupement des caves de Laudun-Chusclan, devenus Maison Sinnae en 2019, en fait la plus grande coopérative de la Vallée du Rhône, d’une production de 130 000 hl en moyenne. Elle se tourne vers la mise en bouteille, la commercialisation à l’export, et surtout une montée en gamme, n’hésitant pas à investir 10 millions d’euros dans l’outil de production, pour 23 millions d’euros de chiffre d’affaire aujourd’hui. La fusion des caves de Tavel et Lirac créé en 2018 le premier opérateur de l’AOC.
Autour de Nîmes, dans la Vaunage et en Costières, Vignerons Propriétaires Associés constituent la plus importante structure du département. Issue depuis 1993 de fusions successives de caves (15 à ce jour) elle englobe 2 700 ha, entre 150 000 et 200 000 hl d’AOP et IGP, pour un chiffre d’affaire entre 20 et 30 millions d’euros.
La cave cévenole de Saint-Maurice-de-Cazevieille vient ensuite. Certifiée Vignerons en Développement durable, elle regroupe 2 000 ha, en bio et en IGP surtout, produisant 140 000 hl et pesant 14 millions d’euros de chiffre d’affaire. Une cave jeune : les moins de 40 ans y sont majoritaires, tout comme les Vignerons d’Héraclès se voient rajeunir par l’arrivée d’une nouvelle génération.
Les Collines de Bourdic, sur 1600 ha et une dizaine de communes, cultivent « le goût du risque et de la différence », n’hésitant pas à planter de nouveaux cépages, comme le gewurtztraminer en 2010.

Une vitalité pour durer
Préserver la ressource en eau, c’est préserver les productions, la vie. Sa gestion, son économie, sa rareté dans les falaises calcaires, sa profusion en Camargue, où des terres ont été gagnées sur elle, sa présence ou son absence conditionne la qualité de terroirs.
En moyenne, la température du Gard a augmenté de 1,2° de 1958 à 2008. Les prévisionnistes n’excluent pas que la hausse atteigne plus de 3,5° d’ici à la fin du siècle.La pression démographique risque en outre d’avoir un fort impact sur la ressource. D’ici 2050, en effet, le département devrait compter 160.000 Gardois supplémentaires. Les consommations humaines et industrielles comme les besoins agricoles devront être partagées. Le canal du Bas Rhône Languedoc pensé pour la diversification des cultures par Philippe Lamour, prolongeant ses idées visionnaires dans un nouveau siècle, offre une nouvelle conjecture à la vigne gardoise.

Les Vignerons d’Héraclès ont pris une longueur d’avance aussi sur le sujet dès 1994, entre économie et gestes analysés, rationalisés. Ils sont un condensé de tout ce que le département rassemble de richesses : la capacité à intégrer son passé, qu’ils portent en étendard dans leur nom, comme à ouvrir de nouvelles perspectives, avec une cave pilote bio, numérique, écologique, produisant même son énergie photovoltaïque.
Ainsi s’offrent à nous des terroirs et des vins en pleine mutation, comme l’est sans cesse la viticulture depuis ses origines, une mutation rendue plus criante par les enjeux actuels, suspendue à ces dynamismes viticoles nés d’une longue histoire qu’ils entendent perpétuer. Le vin deviendra-t-il la plus belle porte d’entrée du département ? Pont entre les temps, avec le célèbre Aqueduc courant sur 50 kilomètres jusqu’à Nîmes comme fil conducteur, le Gard viticole fourbit ses atouts de choc et de charme.

[1] Dans les Cévennes, Louis Julian, Domaine de la Malaigue ou Domaine de Costeplane des Coste (devenu Mas Costeplane), le Domaine de Graillefiot à Sabran, Christophe Beau au Domaine Beauthorey à Corconne, Gérard Eyraud au Domaine de Rapatel à Garons, pour ne citer qu’eux
[2] Floréal, voltis, artaban, vidoc, cabernet blanc, cabernet cortis, muscatis, souvignier, soreli
[3] Grenache blanc, bourboulenc, clairette, roussanne, ainsi que piquepoul, marsanne ou encore Viognier

Parmi les domaines dégustés (la plupart biologiques):

Pionniers du bio
Domaine de Costeplane, Cannes-et-Clairan (aujourd’hui vendu)
Louis Julian, Ribaute-lès-Taverne
   
AOP Côtes-du-rhône
Domaine de la Réméjeanne, Sabran
Domaine des Carabiniers, Roquemaure, AOC Lirac, Tavel
Chapelle de Boucarut, Roquemaure
AOP Costières-de-nîmes
Mas Carlot, Bellegarde
Château Beaubois, Franquevaux
AOP Duché d’Uzès
Domaine de la Malaigue, Blauzac
Domaine d’Orviel, Saint-Jean-de-Serres
Mas des Volques, Aigremont
AOP Sommières
Domaine de Massereau, Sommières
AOP Pic-saint-loup (le seul dans le Gard)
Domaine Mirabel, Brouzet
IGP Oc
Les Vignerons d’Héraclès, Vergèze
Les Collines de Bourdic, Bourdic
IGP Cévennes
Mas Seren, Anduze, Vinifille
Domaine LBV, Le breton Vial,Montaren-et-Saint-Médiers
Les vignerons de Saint-Maurice-de-Cazevieille
Cépages interdits
Coteaux d’Aujac, Secret des Lauzes et Défendu, Assemblage fait à la Cave de Massillagues-Atuech cépages interdits/ vins biologique de la cave
IGP Coteaux du Pont du Gard
Domaine de la Patience, Bezouce
Domaine Mourgues du Grès, Beaucaire
Domaine Galus, Meynes
IGP sable-de-camargue
Terres de Sable, Aigues-Mortes
Pour aller plus loin :
Mas Lau, Souvignargues, 100 % œillade (cépage ancien)
Domaine du Père Benoît, Saint-Hilaire-d’Ozilhan
Un coin sur la terre, Vauvert
Terres de Gaugalin, Saint-Alexandre

Un livre:
Christophe Beau (Domaine Beauthorey), Itinérances vigneronnes, Editions Cambourakis, 2020

 

Cet article a paru sur le magazine Le Point en ligne lz 21 octobre 2020:
https://www.lepoint.fr/vin/departement-du-gard-un-vignoble-en-mutation-22-10-2020-2397628_581.php

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