La vigne souffre. Avant même le coup d’arrêt donné à l’économie mondiale par le covid-19, le secteur viticole souffrait. Aujourd’hui s’organise la distillation de surplus afin de vider les caves à la veille des vendanges. Dans le même temps, la vigne connaît son lot d’aléas climatiques, grêle en tête, et de pression de maladies comme le mildiou. Les perspectives s’assombrissent. Une légende à l’origine même de la vigne et du vin me revient, qui exprime la douleur face à la dureté de la réalité, et la douceur, née de la capacité à la surmonter.
Le mythe figure chez Ovide, au er siècle, sous une forme simple: mort accidentellement en offrant une grappe de raisins à Dionysos, Ampélos, jeune satyre de Thrace, est transformé en étoile dans la constellation du vendangeur. Il est repris sous la plume de Nonnos de Panapolis dans les Dionysiaques au Ve siècle. Le poète grec construit une histoire quasiment nouvelle, « un récit absent de la littérature antique qui s’affranchit de la tradition» selon l’helléniste Nicole Kröll.

Dionysos aimait le beau satyre. Lorqu’Ampélos est tué par un taureau furieux selon les plans de la déesse Héra, Dionysos verse de l’ambroisie, le nectar de l’Olympe, sur les plaies de son corps. A la vue du dieu fou de chagrin, prises de pitié, les Moires, qui tissent les Destinées, accordent alors une seconde vie au satyre en le changeant en vigne :
« Et, tandis que Dionysos gémit, voici qu’une grande merveille se produit sous ses yeux.
Le corps sans vie se redressa, ondulent tel un reptile,
Et Ampelos serpentant devint une délicieuse plante fertile.
A mesure que le corps sans vie se métamorphose,
Son ventre s’étire et devient tronc, ses doigts vrilles et ses pieds racines.
Les rinceaux de ses boucles furent grappes,
Sa peau de faon se couvrit d’une chatoyante floraison de fruits,
Des pampres naquirent de son long col,
Le coude replié n’est qu’un sarment tendant ses raisins,
Son front aux volutes cornues s’incline sous le poids des grappes.
Ce qui fut son ami devint son doux ombrage.
Dionysos mord le raisin, goûte au brûlant breuvage.
Et le sang d’Ampelos rosit ses blanches mains. »

Le jus de la vigne, de la vie renaissante jaillit comme un sang nourricier de la main de Dionysos, qui en tire le premier vin des mortels. Par là, il se guérit lui-même de son chagrin, sublime sa douleur pour mieux accomplir sa mission terrestre : faire connaître le vin aux hommes et leur enseigner l’art de le faire.
La légende subsiste telle quelle, sans autre référence après Nonnos de Panapolis, et sans grandes représentations iconographiques d’Ampélos. Tombé dans l’oubli ? Pas tout à fait. Le jeune et beau satyre est entré dans l’histoire et dans notre langage par l’ampélographie, science qui étudie les cépages. Malgré les coups d’arrêt, les coups de mildiou, les coups du sort, la vigne, telle Ampélos, renaît toujours.

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