La planète des vins biologiques converge tous les ans à Montpellier, métropole érigée en plus grande cave du monde. Le salon Millésime Bio, véritable baromètre de l’évolution de la culture, donne le la d’un mouvement en pleine vitalité. Une fois la fièvre de journées marathons retombées, retour sur un modèle de production de plus en plus partagé.
Sudvinbio, l’association qui a créé le salon en 1993, présente uniquement des vins certifiés sous le label vins biologiques. « Le bio est une philosophie. Nous nous sommes toujours battus pour créer un modèle et montrer à tout le monde qu’il n’était pas seulement une mode. Millésime Bio a 27 ans. C’est une mode qui dure alors! » se réjouit Nicolas Richarme, le président de l’association.
2011-2020. Une décennie s’achève, dans laquelle s’est opéré le basculement vers une culture en vins biologiques élargie, sortie de la marginalité. Etat d’esprit, centrée autour de l’homme et de la nature, elle affirme la viabilité du modèle offert, basé sur le souci de la santé, du producteur comme du consommateur, de la protection de l’environnement comme des ressources en eau, d’une alimentation plus saine. Le modèle suscite un véritable engouement des consommateurs, entrainant une demande croissante. Alors que la consommation mondiale de vin diminue, la part du bio augmente, tant dans sa production que dans ses parts de marchés. Selon l’ISWR, notre pays va devenir le 2e producteur mondial en 2023, derrière l’Italie, mais aussi le premier consommateur mondial de vin bio dès 2021[1]. Une démarche économique valorisée, avec des vins vendus plus chers, un mode de production créateur d’emplois, le cercle vertueux bio s’est posé dans le paysage viticole mondial.
Pour répondre à cet engouement, les trois principaux producteurs mondiaux (Italie, Espagne et France) accroissent leurs surfaces certifiées. Le rythme des conversions s’accélère, pour doubler leur nombre d’ici 2023 en France.
22 pays, 1300 exposants, 7000 acheteurs professionnels. Plus, toujours un peu plus chaque année, en conservant la configuration de stands identiques pour tous, du petit producteur au grand négociant. Millésime Bio s’ancre aujourd’hui dans cette croissance, avec une gestion digitalisée des rendez-vous et des parcours. Une institutionnalisation à la mode bio, avec un mobilier adapté à la dégustation, à la rencontre, créé en local et recyclable, une configuration chaleureuse et confortable font dire à une nouvelle venue, Carine Fitte, du Domaine d’Herrebouc dans le Gers que « nous sommes dans une approche différente ici, plus dans le plaisir du produit. » Digital et design, le bio revêt des habits du futur.
Vers quoi ce bio en évolution, en ébullition, va-t-il tendre? « La culture a franchi le cap aujourd’hui, elle est passée d’un état d’esprit à un modèle de production qui s’adresse à tous les producteurs, et ouvre plusieurs voies possibles. » résume Brice Abbiate, responsable du développement bio chez Gérard Bertrand.
D’aucuns s’interrogent comment concilier un développement accéléré et les fondements qui ont concouru à la création du label. Quel vin dans votre verre, demain ?
Un vin produit à grande échelle, aux technologies maîtrisées ? Les vignerons d’Héraclès démontrent que l’on peut être la plus grande cave coopérative bio de France, et pratiquer un « Bio plus » défini, dans son plan d’entreprise, par la protection de la ressource en eau, des sols et des écosystèmes, près de la source Perrier. « Nous essayons de construire un agro-éco-système, quelque chose d’assez global sur les exploitations » commente Camile Guilbert, animatrice territoriale du projet.
Un vin artisanal, de petite production ? Il se déguste à chaque pas à Millésime Bio, dans sa diversité, l’exaltation des arômes, du fruit. Un bio qui ne veut pas perdre son âme ? « Plus on est de bio, mieux on est ». Satisfaits sur le principe, les pionniers restent vigilants vis-à-vis d’éventuelles déviations de leur esprit d’origine dans la banalisation de la culture.
Un vin de plus en plus tendu vers une certification supplémentaire en biodynamie, Déméter ou autre? La méthode attire de plus en plus de vignerons, adeptes de moins d‘intrants à la vigne (avec des infusions, un équilibre dans le sol), comme en cave, notamment par la réduction des sulfites.
Un vin bio pour tous, abordable pour le consommateur, rétribuant justement le vigneron ? Christophe Aguilar, au Domaine de la Patience à Bezouce (Gard) voit une place à prendre pour des vins de territoire « droits, carrés, sur des volumes, à des prix corrects ». Un vin bio éthique, tel que les pionniers l’ont conçu, qui trouvera par exemple de nouvelles pratiques pour remplacer cuivre et soufre à la vigne ? Un vin bio-écologique, tendant vers la biodiversité, la permaculture ? Il n’est question dans les allées que de haies, de plantation d’arbres, de retour des abeilles. Des circuits courts à l’échelle d’un territoire ? Les réflexions menées par exemple sur les rivages proches de Montpellier à l’horizon 2030 s’y emploient. Une empreinte carbone diminuée y compris par les matériaux de la bouteille ou du bouchon appuient ces raisonnements à une échelle mondiale. Le bio voit loin, il voit large.
Le palmarès du concours Challenge Bio, organisé en amont du salon, intègre cette année des cépages résistants, c’est-à-dire crées par croisements pour se passer de pesticides. Le domaine de la Colombette est ainsi récompensé d’or en blanc avec son souvignier-muscaris, et en rouge avec son cabernet noir, promus par l’association PIWI. L’INRA , quant à elle, va sortir tous les 3-4 ans de nouveaux plants, pour accroître le choix des vignerons.
Le concours se tourne aussi vers son passé. Il démontre la présence parmi les médaillés de cépages anciens, autochtones avec ses verdejo, albarino, callet, manto negro espagnols, ou ses corvina, nero d’avola, pecorino, centesimo et sangiovese italiens. Avec une mention spécale pour le premier vin arménien labellisé en vins biologiques, 6100, un aréni puissant et soyeux, fruité. Il incarne, dans cette manifestation mondiale, un patrimoine viticole universel, des pratiques de vinification datant de plus de 6000 ans. La culture biologique, sa transmission, marchent main dans la main avec la préservation de patrimoine.
Pionniers hier, sous les projecteurs aujourd’hui, en passe de faire figure de norme demain? Les acteurs interrogés sont unanimes à le penser, à l’image du vigneron Louis Fabre : « La norme s’inversera. Le bio sera la norme. Nos enfants le verront ». Biodiversité, biodynamie, agroforesterie, plébiscités, occupent de nombreux esprits, promettant un avenir très vert, plus protecteur des dérèglements climatiques.
Les défricheurs d’aujourd’hui, les vins nature, tentent eux-mêmes de s’organiser, concédant leur esprit de liberté et d’audace à une certification bio a minima. Une certification qui serait la bienvenue pour Nicolas Richarme : « Le modèle bio n’est pas sectaire, tout le monde peut venir. Les vins nature, aujourd’hui, sont plutôt sans garde-fous. La certification en vins biologiques est la base. Les vins nature seront alors un modèle à part entière, certifié lui aussi. »
L’âme du bio plane sur Montpellier, capitale mondiale d’un modèle de production, d’une philosophie en action, attentive à conserver ses préceptes, ouverte à tous, Propulsée dans une nouvelle échelle, elle rassemble toujours plus d’arrivants en culture biologique, mais peu encore au regard de la planète viticole : de 1,5 % en 2013, la consommation mondiale de vins bio passera à 3,5 % en 2023. Cinq pays représentent à eux seuls la moitié de la production mondiale (Italie, Espagne, France, Allemagne, Etats-Unis). Que de chemin encore à parcourir pour une planète vin plus verte ! De grands champs s’ouvrent, du possible, du probable, du nécessaire, dans la sérénité, la conviction renforcée. Il n’est qu’à écouter les paroles de vigneron.ne.s occitans recueillies sur le salon.[2].
[1] ISWR : source de données et d’analyses du marché
Les chiffres sont ceux de l’étude ISWR (source de données et d’analyses du marché) pour Sudvinbio, 2020
[2] Voir l’article suivant : https://lesclosdemiege.fr/2020/02/united-colors-of-bio/
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