En face de l’imposant Musée Fabre, l’espace Dominique-Bagouet offre une salle à la fois intimiste et pourvue de vastes volumes, dédiée à l’art et au patrimoine montpelliérain. Des expositions thématiques y donnent à voir des pans méconnus de l’histoire locale. Ainsi, Le 19e, siècle, âge d’or de la peinture montpelliéraine  invite-t-il à redécouvrir, par un accrochage audacieux, des peintres oubliés, à l’ombre d’artistes reconnus comme François-Xavier Fabre, Alexandre Cabanel ou Frédéric Bazille. Les portraits de Charles Matet et d’Edouard Marsal, les paysages de Charles Node, Numa Larché ou Eugène Castelnau, en très grands comme petits formats, balaient de leur éclectisme l’histoire du XIXe siècle à Montpellier, ses personnalités, religieux et notables, ses lieux de promenade.


Parmi les figures peintes, un Portrait de la famille Fabrège : Frédéric Fabrège et ses parents devant la cathédrale de Maguelone (1864) par Auguste Glaize remet dans la lumière et un peintre célèbre en son temps, et un épisode majeur de l’histoire locale, lorsque le jeune historien entreprend de redonner vie à l’édifice religieux, mais aussi au vignoble, perdus sur leur île. Il consacre sa vie, et une grande partie de sa fortune, à restaurer le domaine, acquis en 1852. Ce Maguelone, lieu magique, puissant évêché, qui fut seconde Eglise chrétienne après Rome, battait monnaie, possédait un immense territoire et conservait tant ouvrages savants que pratiques viticoles installées depuis l’Antiquité. Sur la toile d’Auguste Glaize, comme un symbole de la passion d’une vie, la cathédrale se profile en arrière-plan, esseulée, encore à l’état d’abandon, de même que le vignoble n’est pas encore remis en culture. Frédéric Fabrège et ses parents apparaissent au premier plan, solides, sûrs d’eux face à l’immense tâche.
Tout à côté, Vendanges en Languedoc (1902), très grand format de Max Leenhardt, fixe, comme sur une pellicule, le film d’une apogée, celle d‘une viticulture de masse, sous un jour opulent, insouciant des signes avant-coureurs de la révolte qui éclate en 1907. Numa Hambursin, commissaire de l’exposition, y voit « le dernier témoin d’un siècle chimérique et agonisant ». Le tableau décrit une vendange d’Aramon, si l’on se réfère à la grosseur des grains et à leur couleur violette. Le cépage fait figure de symbole de cette époque où le vin-aliment du Midi nourrit la révolution industrielle en marche, faisant au passage la fortune de Montpellier. La scène nous renseigne sur l’organisation du travail saisonnier, confié aux femmes, courbées sur la coupe des raisins, les hommes, debout, portant les comportes. On y observe l’usage des bœufs, en arrière-plan, au premier un jeune enfant suivant sa mère.

 

L’œuvre de Max Leenhardt croise à plusieurs reprises ce monde viticole auquel la lignée de sa prestigieuse famille protestante, donnant naissance à des banquiers, scientifiques, architectes et artistes, est liée par la possession de grands domaines viticoles, en particulier le long du littoral. Avec ses cousins Eugène Castelnau et Frédéric Bazille, il est apparenté au président de  la Société d’Agriculture de l’Hérault, Gaston Bazille, qui travaille avec Jules Planchon à éradiquer le phylloxéra fin XIXe s. Avant de réaliser sa grande fresque sur les vendanges, Max Leenhardt a décoré, en 1890, l’Institut botanique de Montpellier de deux grands tableaux qui ornent l’escalier d’honneur de cette école renommée. Depuis Henri IV, et la création du Jardin des Plantes, elle a engendré d’éminents spécialistes, de Pierre Magnol à Jules Planchon, qui se sont penchés sur les cépages et sur la viticulture. En 1900, le peintre produit à nouveau de grands décors, à l’Institut biologique de Sète, illustrant deux paysages patrimoniaux, l’étang de Thau et le Mont Saint-Clair. En 1902, c’est pour le tout jeune Crédit agricole de Montpellier qu’il réalise Vendanges en Languedoc. La banque abrite encore cette fresque, épique et attachante, en son siège régional à Lattes.
A l’Espace Dominique-Bagouet, dans ce « cabinet d’un autre siècle, à la fois enchanteur et nostalgique de ce temps que l’on ne peut plus retrouver que dans un lieu d’art », ainsi que l’écrit Philippe Saurel, Maire de Montpellier, resurgissent avec cette toile quelques instantanés d’un passé prestigieux, de fiertés et de peintres oubliés, dans lesquels s’immisce, omniprésente, une part viticole, comme un patrimoine en soi.

Article paru le 12 juillet 2017 dans Montpellier-Infos, Thau-Infos, Agde-Infos et Béziers-Infos

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