« Elle porte si bien son nom caractéristique de clairette, avec ses jolies grappes élégantes, à grains transparents, oblongs, blancs ambrés, et ses feuilles blanches au revers, contrastant avec le vert foncé de la page supérieure, ses sarments longs et fins de couleur claire qu’elle a peu ou point de synonymes dans la région ». Henri Marès, 1890

Journalistes, œnologues, sommeliers, à l’exemple de Philippe Cambie ou de Daniel Roche [1],  ne tarissent pas d’éloges sur la clairette, rangée parmi les cépages majeurs pour l’élaboration des grands vins blancs méridionaux. Elle a pourtant connu de longues éclipses, et doit à la ténacité de quelques passionnés d’être toujours cultivée. Coup de projecteur et coup de cœur pour le plus vieux cépage autochtone du Languedoc, qui a donné naissance à sa plus petite AOP, reconnue dès 1948.
Seule, en AOC clairette du Languedoc, de Bellegarde, ou en cépage d’appoint dans la vallée du Rhône et en Provence, elle a été curieusement rendue célèbre par la clairette de Die, vin pétillant et doux composé de … 75 % de muscat à petits grains, cépage avec lequel elle partage une longue histoire. Remontant le fleuve Hérault, elle s’est lovée dans sa moyenne vallée, pour s’épanouir avec vigueur sur des terroirs peu fertiles, calcaires et secs (terrasses du villafranchien,  marnes et schistes). Robuste, peu sensible aux maladies telles que l’oïdium ou la pourriture grise,  la clairette déploie une grande longévité. Baignée de soleil, elle aime les hivers doux, aux rares précipitations, les étés chauds où elle ne craint pas la sécheresse. Paresseuse, – c’est un cépage tardif – elle a besoin de temps pour mûrir correctement. Aussi, les vendanges ne s’achèvent-elles pas avant mi-octobre. Rebelle, il faut alors dompter ses tanins dès le pressurage et la vinification.


L’appellation Clairette du Languedoc s’étend sur 11 communes. L’essentiel de la production se concentre à Aspiran, Paulhan, et Adissan, considéré comme son berceau, Elaborée à partir d’un cépage unique, la clairette blanche à petits grains, elle propose une  palette de vins tranquilles vinifiés sous quatre formes différentes : en sec, moelleux, rancio ou vin de liqueur [2]. Ces vins sont appréciés pour leur absence d’acidité, qui les rend faciles à boire. La variété des productions, des sols, des expositions, des maturations du raisin comme des choix de vinification, donnent de subtiles nuances aux vins. Des arômes reconnaissables de pomme et de pamplemousse, de fleurs blanches dominent les dégustations, avec des notes florales et de fruits exotiques en sec, des arômes de pêche et de coing en moelleux, pour finir sur des accents de miel et de noisette pour les vins les plus évolués.


Carte de Cassini (XVIIIe siècle)

Le périple de la clairette épouse les contours de l’histoire du Languedoc, sa qualité en porte la renommée pendant des siècles. Implantée par les Grecs depuis le port d’Agde, la viticulture s’est installée durablement dans la vallée de l’Hérault, au cœur des grandes voies de communication anciennes. Ce sont les Romains qui font de la clairette « le grand cépage de la Narbonnaise », raconte l’historien et Maire d’Adissan, Philippe Huppé. Pour preuve, deux villae, parmi les plus vastes connues en Languedoc, ont été découvertes au cœur du terroir, à Paulhan et à Aspiran. Des grappes de raisins retrouvées au fond d’un puits gallo-romain proche ont été identifiées comme de la clairette. Le cépage connaît un second essor au Moyen-Age, par la proximité avec les grandes abbayes, dont celle d’Aniane, qui contrôle une partie de son aire de production. Le vin blanc, en particulier doux, est placé tout en haut de la hiérarchie des vins. Il sert une fonction liturgique, et s’offre aux nombreux pèlerins de passage. La renommée de la clairette point au XVe siècle. Le Maître sommelier du Roi Louis XI en acquiert, distinguant le sec (piquardentz) et le moelleux (cleratz). Rabelais, Olivier de Serres, les botanistes la célèbrent, en compagnie des muscats.  Malgré une production restreinte, sa réputation, basée sur la maîtrise de la maturation des raisins par des vendanges très tardives, ne se dément pas. Elle est servie en vin d’honneur dans les grandes réceptions  royales (François 1er en 1533, Louis XIII en 1622). La clairette étend ensuite ses vignobles vers Montpellier et les bords du Rhône. Elle connaît son plus grand déploiement autour de Marseillan, Mèze, Florensac, Pomerols, Pinet, Maraussan, Cazouls les Béziers, délimitant, avec  les piquepouls et les muscats, une vaste zone de prédilection pour les vins blancs en Languedoc au XVIIIe siècle. De plus en plus cotée, la clairette se vend cher, conquiert l’Europe du Nord, prospère sur ses terres d’origine. Puis elle se perd à partir du milieu du XIXe s. dans la fabrication de vermouths, apéritifs très prisés dont elle sert de base, avant que l’arrivée du phylloxera, qui détruit le vignoble héraultais ne lui porte un rude coup, comme à toutes les productions de qualité. Son image de marque ternie,  la pratique tombée en désuétude, la production de clairette se confine au confidentiel au XXe siècle.

 

Quelques vignerons portent l’effort de sa reconnaissance en tant qu’AOP en 1948, mais il ne s’en  plus produit guère plus que 20 hl en 1990. Un an plus tard, à son arrivée à la direction de la cave coopérative d’Adissan, Jean Renaud ose le pari de la remettre en production. « Personne n’y croyait, le nom ne plaisait pas ». Il en vinifie 80 hl à peine en rancio, par curiosité. « Elle était belle, vinifiée à part » confie-t-il. Il s’attaque au moelleux l’année suivante, mais la première vendange conséquente date de 1998, le temps de s’adapter au cépage, à sa vinification, changer le mode  de conduite à la vigne, la taille,  mais aussi retrouver des pratiques perdues. En interrogeant les anciens, il réveille leur mémoire, enfouie, fixe les délimitations géographiques de la production [3]. A l’heure actuelle, il se produit 1000 hl de clairette en moelleux. Le rancio, dont la vinification n’était plus usitée, est commercialisé en bouteille « costaud, stable… comme le vin qu’elle contient », prévu pour vieillir « un temps fou », un siècle peut-être.

Le syndicat du cru a porté cette renaissance viticole, depuis M. Souyris, Pierre Nogaret jusqu’à Jean Dardé, son président depuis deux ans. Des hauts et des bas, la clairette en a bien connu, des défis, elle en a beaucoup relevé. Le vin n’est plus au goût du jour, la mode va vers le piquepoul ou les cépages de la mondialisation, chardonnay et sauvignon ?  « C’est un cépage merveilleux pour les gens qui veulent revenir aux sources », répond Jean Dardé, par sa résistance à la sécheresse, son ancienneté dans un air du temps qui s’attache au terroir, à l’histoire locale. Une reprise est amorcée. Un bon bouche à oreille, la fidélité de la clientèle en caveaux, la qualité du produit, des prix raisonnables, une forme de curiosité pour le cépage sonnent comme autant d’atouts. La relance de la production connaît depuis 2014 un coup d’accélérateur économique. Les Domaines Paul Mas, très impliqués dans les terroirs méridionaux, s’intéressent au cépage, doublent leurs achats chaque année, à Adissan et Puilacher. Le vin, en AOP Clairette du Languedoc sec, est destiné à l’export. Jean-Claude Mas offre ainsi des réseaux internationaux et une nouvelle jeunesse au plus régional des cépages.

La persévérance d’un directeur de cave, d’un syndicat, l’arrivée d’un leader en vins du Sud trouvent un prolongement dans la démarche d’une collectivité. Maire depuis 2008, Philippe Huppé montre un attachement naturel à maintenir les traditions, que la Confrérie Saint-Adrien, la Nuit de la Clairette, fête collective et populaire,  font vivre.  Le PLU protège les  bâtiments viticoles, y compris les maisons vigneronnes du 19e s. L’édile place, au centre de ses préoccupations, la pérennité d’une production de niche qui atteint ses limites, à la fois qualitatives – les vins donnent aujourd’hui le meilleur d’eux-mêmes -, mais aussi de potentiel de production. Plus tard, seuls quelques propriétaires, quelques jeunes maintiendront vraisemblablement la viticulture à Adissan. Philippe Huppé entend se servir de l’oenotourisme et de projets artistiques haut de gamme comme leviers économiques. Président du réseau national villes et métiers d’art (VMA), une association d’élus qui ont pris cette compétence, il mène un ambitieux projet, au long cours, tablant que, dans vingt ans, Adissan se sera enrichi par l’apport de ces métiers, au cœur d’un patrimoine vivant, dont la clairette sera l’autre pilier. Grâce à l’installation d’ateliers au sein même du village, à la constitution de structures d’oenotourisme autour des deux pôles, interdépendants (circuits pour bus, visite de la cave, des artistes, restauration, hébergement), le visiteur repartira, empli de toute une histoire : celle de vins et vieux métiers. Car « avec la clairette, c’est toute une histoire que l’on boit ».
Dans cette toile tissée autour du plus ancien cépage languedocien, chaque fil puise dans un retour aux sources, entre connaissance du patrimoine viticole et inventivité, un savoir-faire du vin immuable et sans cesse renouvelé, des accords contemporains. Pour mieux assurer la permanence des vignobles, des pratiques, d’un métier, d’un cépage, comme un retour dans la lumière.


[1] Philippe Cambie, œnologue: « un très grand cépage ». Daniel Roche, sommelier « un cépage trop méconnu »
[2] Vin sec : 12° d’alcool minimum – Vin moelleux : 15° d’alcool minimum – Rancio après trois années de vieillissement pour un vin titrant 14° minimum – Vin de liqueur (17°) avec mutage en cours de fermentation (5% minimum et 8% maximum d’alcool à 90°)
[3] en fonction de la présence de mazets et de la distance que pouvait parcourir le cheval

La Clairette en chiffres, en 2016
Une centaine d’hectares
4 caves coopératives, : Adissan, Cabrières, Fontès, Puilacher (Paulhan, Aspiran, Péret apporteurs)
5 caves particulières
Production annuelle: 4000 hl en 2015, 4 500hl en 2016 dont 2300 hl à Adissan
En année commune : 60% en moelleux et 40% en sec
Commerce France: 80% (GD) et 20% (vente directe)Accords culinaires
La clairette peut facilement accompagner un repas entier, de l’apéritif au dessert: les foies gras, les poissons délicats ou même les viandes blanches en sauce ainsi que les fromages, en particulier le roquefort, la tarte au chocolat
Secs : poissons, huîtres chaudes, viandes blanchesLe projet Ville et Métiers d’Art (VMA)de la Mairie d’Adissan
Sur une friche industrielle de 2500 m2 dans le village
Avec Hérault Habitat
Thématique retenue : autour de l’espace public, l’améliorer, ou le qualifier
Budget : 4 millions d’euros
16 professionnels, disposant d’un atelier et d’un logement
Pour moitié : ouvert à des jeunes, renouvelés tous les 3 ans
Pour moitié : ouvert à un groupe qui restera et transmettra son expérience.
Critère de choix des professionnels : « qu’ils soient les meilleurs dans leur catégorie. Nous visons l’excellence »
Des atouts: à proximité d’une sortie d’autoroute ; Adissan sur un axe du réseau VMA qui passe par Agde, Pézenas, Lodève, et Gignac

Article paru le 25 octobre 2016 dans Montpellier-Infos, Thau-Infos, Agde-Infos

Share and Enjoy !

Pin It on Pinterest