Vendanges au Château La Peyrade (Frontignan) |
La pluie a déserté le Languedoc, causant une forte sécheresse dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, qui s’est étendue au Biterrois, à la vallée de l’Orb et au Piscénois, jusqu’à ronger le bassin de Thau. Cruauté du temps, c’est la grêle qui a frappé Montpellier et ses alentours. L’année 2016, marquée en viticulture du sceau des calamités, produit anormalité sur anormalité. Des chardonnays vendangés avant des muscats, des mourvèdres avant des syrah, la chaleur affole les cépages, sans parler des sinistrés du Pic Saint-Loup et de l’est de Montpellier obligés de vendanger avant tout le monde pour sauver ce qui peut l’être. L’absence de pluie, conjuguée en fin d’été à de très fortes chaleurs, dessèche le grain, induit une perte de jus, donc de rendement. La baisse de récolte, déjà sensible partout, est évaluée à – 10 % en France par le Ministère de l’Agriculture. Les professionnels parlent d’une « récolte maigrichonne » en Languedoc.
Loin des prévisions, vignerons et coopérateurs s’affairent à la vigne. La maturation des raisins, contrariée par un printemps humide, vecteur de maladies, avait retardé le début des vendanges. Elle s’accélère de façon galopante ces derniers jours pour tous les cépages. De quoi donner le tournis aux vignerons, et chambouler l’organisation des vendanges: il faut resserrer les dates de récolte pour ne pas trop perdre de jus ou ramasser des degrés trop élevés. En 3 jours, 2 à 3 degrés ont été pris sur les syrahs à Pomerols, avec un vent desséchant qui est levé. Vendanger au rythme des maturations, en accéléré? La plupart des vignerons et caves coopératives s’y résolvent, par crainte qu’un épisode climatique violent ne vienne tout ruiner. Valérie Ibanez, au Domaine de Roquemale à Villeveyrac, condense ses dates de récolte « sur douze jours au lieu d‘un mois » . De même, à la cave de Bessan, « Les maturités avancent tellement vite, nous vendangeons à plein. Nous passerons de 25 jours à 15 jours de vendanges cette année » commente son directeur, Robert Cabrol. Les caves rentrent des volumes plus importants sur une journée. Mais la chaleur laisse peu de temps pour ramasser le raisin, y compris la nuit. Olivier Azan, au Domaine du petit Roubié à Pinet, notait 23° à 4h du matin. « On commence avec la machine à vendanger à 2h du matin au lieu de 5h, les cadences sont plus importantes pour presser, on récolte plus. ». Et d’ajouter: « Les fortes chaleurs perturbent tout: les raisins, et les hommes. Il faut garde la tête froide, rester méthodique, concentré sur les vinifications ».
Sauvignon et chardonnay ouvrent le bal des vins de pays, suivis des cépages régionaux, roussanne, marsanne. Le Piquepoul, cépage tardif, fermera la marche pour produire l’AOP picpoul de pinet. Bien adapté à sa zone de production littorale, il résiste mieux à la chaleur que le sauvignon, qui souffre cette année.
A Pomerols, à Bessan, les caves finissent de rentrer les blancs, pour débloquer l’arrivée des rosés. A Montagnac, les grenaches, magnifiques, entrent en cave. Ils répondront à des marchés très pointus sur des rosés pâles.
Puis vient le tour des rouges. Quelques jolies syrahs et autres cépages en agriculture biologique au Domaine de Roquemale, auréolées de trois étoiles au Guide Hachette 2017 sur la cuvée LEMA, ont donné une jolie sortie, le nombre de grappes compensant la perte de jus.
L’enjeu, pour tous, tient à garder le cap sur la juste maturité souhaitée. Sur le Bassin de Thau, blancs et rosés sont récoltés pour répondre très rapidement, d’ici la fin de l’année à d’importants marchés, en particulier à l’export. Ils obéissent à des critères très précis d’élaboration: peu de couleur mais une belle acidité et de la fraîcheur. Chaque année, les vignerons relèvent le défi de produire une qualité égale, alors que les conditions d’élaboration varient considérablement,. Les Costières de Pomerols se sont par exemple dotées d’outils prédictifs de la maturité, en plus des contrôles habituels sur le terrain. Joël Julien, leur Directeur le précise: « il s’agit de vendanger à l’optimum pour satisfaire ses clients et ses marchés ». Cette année plus qu’une autre, les vinifications moduleront les assemblages, moins de merlot, trop concentré, par exemple, dans les rosés de Cotes de Thau à Pomerols.
Les avis sont unanimes, de Bessan à Mireval, de Villeveyrac à Pinet, pour parler d’une plus petite quantité, mais d’une bonne qualité, voire d’un très bon niveau qualitatif sur ce millésime difficile, avec de la concentration, du fruit.
Les grands millésimes naissent dans la douleur en Languedoc comme ailleurs. Une fois de plus, les vendanges, à la fois rendez-vous immuable et sans cesse renouvelé, nous interrogent sur l’incertitude du temps, la fragilité de productions agricoles même dans un siècle où nous pensons tout maîtriser par la technique, l’informatique et nos savoirs scientifiques. Que faire de ce temps, comment composer avec lui? Les chercheurs de l’INRA et du CNRS proposaient, à l’occasion de la Conférence sur le climat à Paris COP 21 en décembre 2015, des pistes de réflexion et d’actions, sur l’irrigation, les cépages, les modes de conduite de la vigne. Elles entrent à nouveau dans le feu de l’actualité. Avec un enjeu de taille pour la viticulture régionale: le maintien des qualités, de la qualité des vins du Languedoc, après trente ans d’efforts, de sacrifices et de profondes mutations, que la prestigieuse Revue des Vins de France vient de récompenser[1].
Vendanges à Mireval
Les modes de conduite la vigne en question
Au centre des débats, en pleines vendanges, l’absence de pluie en août remet sur le tapis la question des méthodes culturales pour mener la vigne. Laisser de l’ombre au raisin, de la surface foliaire, ne pas écimer, voire, pour les adeptes d’une culture en accord avec son environnement, enherber ses parcelles, pratiquer l’agroforesterie (complanter des arbres) pour redonner de l’humidité au sol et au cep apportent des réponses concrètes à la gestion du stress hydrique. Un travail en amont, auprès des viticulteurs, de formation, d’éducation pour suivre un travail adapté à de nouvelles conditions de production apparaît comme criant de nécessité.
De même, le débat sur l’irrigation des vignes s’invite dans les discussions. Le syndicat du Bas Rhône Languedoc et la Chambre d’agriculture mènent un projet de 1500 ha pour 2020 sur le secteur de Montagnac, Pinet, Pomerols. Les réunions se multiplient mais les vignerons trouvent le temps long. Olivier Azan, qui a inscrit des parcelles dans le projet, constate que « même les vignes irriguées, en IGP, souffrent. Le cep tient bon, mais ne crée pas du végétal. Chaque année, nous assistons à des perturbations des vendanges liées à des épisodes climatiques. Nous sommes vraiment dans un changement climatique, ça y est». Jean-Louis Reffle, direction des Vignerons de Montagnac n’a pu que constater les dégâts de la chaleur sur ceux qui n’ont pas pu irriguer.
Outre ce paramètre, le choix des cépages implantés alimente déjà le débat. Dans les faits, les cépages anciens tiennent bien le choc, le muscat à petits grains en tête. Joël Julien le constate: « les cépages traditionnels, comme en 2012 ou 2014, sont plus faciles à vinifier. Cette année, terret, carignan, et grenache tiennent mieux. ». Les vignerons tentent partout sur le Bassin de Thau des expérimentations personnelles. Les Costières de Pomerols sortent une production en gewurztraminer dans un mois. Du sangiovese, cépage italien, sera incorporé dans le rosé d’assemblage en Cotes de Thau. Le pinot, lui, souffre de la chaleur. Des croisements de cépages sont également implantés. La liste proposée s’allonge chaque année! Le château La Peyrade, à Frontignan expérimente ainsi les effets et la qualité de cépages venus d’un peu partout, pour produire un rosé atypique, et personnel. Les solutions seront-elles à la fois globales et très individuelles?
[1] Guide 2017, Revue des Vins de France (21e édition)
Article paru le 8 septembre 2016 dans Montpellier-Infos et Thau-Infos