Rebaptisées en « vignerons de » ou parées de noms antiques, à l’instar d’Héraklès à Vergèze, ancrées dans leurs villages languedociens comme un clocher à son église, les caves coopératives, symboles de la viticulture de masse du XXe s. en vins rouges courants, ont changé de patronymes … et de visage.
Après le grand tournant des arrachages, des fusions entre elles, elles ont pris le chemin de la qualité et de l’innovation par le biais d’options économiques diverses. Ces « cathédrales de Bacchus » d’une époque révolue se muent en caveaux de vente ultra-modernes, à l’exemple de Florensac, Mèze ou Celleneuve. Elles offrent aujourd’hui des vins de toutes les couleurs, produits en AOC, IGP, IGP Oc ou Vin de France. Artisans du patrimoine aux cuvées historiques, coopérateurs à une échelle industrielle assumée, le cépage chevillé au corps, comme Pomerols au picpoul, tournés vers la résurgence d’une très vieille histoire, à Saint-Georges d’Orques, ou à la pointe du marketing, ces viticulteurs partagent une souplesse à s’adapter à l’évolution des marchés économiques, et aux modes de consommation actuels. Ils démontrent une inventivité dont les inaugurations qui se succèdent depuis le mois de juin, à Montagnac, à Pomerols,  apportent une illustration vivante. Tout un symbole: la cuve historique d’une capacité de 41 00 hl, la plus grande d’Europe dans les années 1960, a été démolie à Montagnac pour laisser place à un projet « ambitieux et moderne », d’ateliers de vinification à la pointe de la technique. Tous ces exemples éclairent, dans sa multiplicité, le nouveau souffle du secteur coopératif en Languedoc, en particulier dans le grand Montpellier et en Pays de Thau.
Cette coopération reste porteuse de valeurs anciennes, de travail en commun, de solidarité, dans le souci de bien rémunérer ses adhérents. « Les vignerons du Pic gardent ce précepte au centre de leurs préoccupations » explique leur Directeur, Bruno Daneluzzi. Mais des valeurs remises au goût du jour, en sachant si possible anticiper l’avenir. Joël Julien, son Directeur, le résume pour la cave de Pomerols : « dans notre conception, la coopération est avant tout une aventure humaine, et une mise en commun de moyens pour mettre en œuvre des stratégies d’entreprise efficaces. » Ces stratégies ont entraîné une  mutation dans les mentalités: l’investissement n’est plus considéré comme une prise de risque, ou une part qui vient amputer la rémunération de l’adhérent.
Le renouveau coopératif passe par la qualité. Rupture avec le passé, tout ou majeure partie du vin est conditionné sur place (Assas, Pomerols), quand il partait autrefois massivement en vrac, en citernes. La recherche de la qualité peut passer par la limitation de la production de la cave. A Assas, qui produit en AOC Languedoc – Pic Saint-Loup et Grés de Montpellier,  le Conseil d‘administration a acté de ne produire que ce qui peut être vendu. Pas toujours simple à faire passer: il faut convaincre les adhérents, mettre au point un cahier des charges qualitatif (sol, conduite de la vigne, jusqu’à la surmaturité des rouges).
La coopération partie prenante de la recherche d’excellence? A Saint Georges d’Orques, la cave participe main dans la main avec les vignerons indépendants et le syndicat au travail pour l’obtention d’un cru communal. Tous s’appuient et valorisent ensemble une démarche historique sur ces vins fins, naturellement élégants célébrés par Thomas Jefferson dans son voyage en France, avant de devenir Président des Etats-Unis d’Amérique.


Nouvelle cuverie à Montagnac  
Chaîne d’embouteillage à Pomerols

Dans une option de modernisation à grande échelle, des caves n’ont pas hésité à s’équiper en matériel pour traiter vins blancs et rosés au froid. Les vignerons de Montagnac en sont un bel exemple. Ils inauguraient le 21 juin dernier leur nouvel atelier de vinification, d’une capacité de 45 000 hl, tout en cuverie inox, à l’abri de l’oxygène dès l’arrivée du raisin jusqu’en cuve de fermentation. Des jus automatiquement sélectionnés, pressés dans d’immenses pressoirs mis au point sur place, sont ensuite refroidis et distribués en cuves de débourbage. Cout: 3,7 millions d’euros. Ces investissements font dire à Boris Calmette, président régional de Coop de France « qu’en cave coopérative, les investissements réalisés au service des adhérents le sont également pour les générations à venir ». Deux jours après Montagnac, les Costières de Pomerols inauguraient leur nouvelle ligne d’embouteillage, entièrement automatisée. D’une valeur de 1,5 millions d’euros, elle constitue la dernière étape d’une modernisation complète, entamée à partir des années 2000, « dans l’ordre » rappelle le Président sortant Cyr Gaudy, partant de l’encépagement, puis la vinification jusqu’à la commercialisation. « Ce n’était pas évident. Le premier investissement coûtait 6,5 millions d’euros. Tout le monde a suivi » raconte celui qui, après 14 ans à la barre, passe le relais, serein, à la tête d’une coopérative qui fait figure aujourd’hui de locomotive. En opérant plusieurs fusions, se dotant d’outils de vinification, mise en bouteille et stockage , ainsi que de caveaux de vente, les Costières de Pomerols ont démontré leur capacité à élaborer et poursuivre durablement des stratégies commerciales, s’adapter aux nouvelles conditions des marchés.
Ces caves ont répondu à la crise. « Nous avons traversé une crise économique où le consommateur cherche à identifier des produits de très bon rapport-qualité/prix » analyse Joël Julien. La crise analysée, la cave a préparé, anticipé les reconversions. Henri Cabanel, sénateur de l’Hérault, le rappelle : « la viticulture languedocienne, aujourd’hui connue et reconnue, dans une agriculture malade, s’est prise en mains, n’a pas ménagé sa peine et ses efforts ».
Elles ont construit des marchés: Assas en réseau cavistes France (60% de son activité), Pomerols à l’export (pays anglo-saxons, Asie maintenant), St Georges d’Orques avec Montpellier Méditerranée Métropole en Chine.
 
Les résultats sont là: une progression à deux chiffres à Assas, des bouteilles bien valorisées, des frais de vinification qui n’ont pas augmenté à Pomerols, malgré la lourdeur des investissements.
Le succès économique tient aussi à une démarche marketing pensée, qui définit un profil de produit à vinifier (Pomerols, Assas), avec une belle typicité en Picpoul de Pinet, Languedoc – Pic Saint Loup et Grés de Montpellier. Bouteille personnalisée, vins dotés d’une véritable identité,  à l’instar du slogan « son terroir, c’est la mer » en picpoul, le travail de communication a intégré le produit dans son environnement.

 Terroir d’Art à Montagnac

 Cuvée Jefferson de St-Georges d’Orques

Ces caves savent aussi surfer sur des vagues montantes, celle, en particulier, des nouvelles appellations: en picpoul de pinet depuis 2013 (Montagnac, Pomerols), en dénomination Grés de Montpellier depuis 2003 (Assas, Saint Georges d’Orques), qui constituent des valeurs porteuses d’image.  Ces caves ont observé et géré de nouveaux modes de consommation, à l’exemple d’Assas et de Saint-Georges d’Orques avec des vins féminins, gourmands, qui s’adressent à un consommateur plus jeune. Elles ont utilisé l’aspiration touristique, comme pour Pomerols près du Cap d’Agde, Assas et Saint Georges d’Orques près de Montpellier, métropole régionale tournée vers l’international. 
Elles ont glissé vers l’oenotourisme, aidées en cela par le département ou la marque régionale Sud de France pour s’offrir un nouvel élan. Les circuits oeno-rando inaugurés en juin à Montagnac et Pomerols en sont la preuve pour Jean-Louis Reffle, directeur des Vignerons de Montagnac : « L’oenotourisme fait partie du renouveau de la Cave, de notre dynamisme ». Il permet d’y renouer avec un « Terroir d’art » à parcourir avec Nadine, vigneronne et conteuse de sa terre. Cette oenoculture allie sans complexe vins et mets, à l’exemple  des ateliers de Beauvignac à Mèze, musique, photo, art, paysages … et démontre un attachement au terroir. A Saint-Georges d’Orques, il n’est question que de patrimoine, et d’histoire. Une Cuvée Jefferson a vu le jour à la demande de l’ambassadeur des Etats-Unis venu il y a cinq ans dans le village perpétuer son souvenir.
Le récent concours national de l’oenotourisme en caves coopératives à Marseille ne s’y est pas trompé. Il a largement récompensé les initiatives héraultaises[1].
Une amorce plus timide en vins biologiques fait jour. Les inaugurations ont vanté la pratique de la confusion sexuelle à Montagnac et  Pomerols, qui limite l’usage de traitements. Trois productions bio  sont vinifiées et mises en bouteille en prestation à Montagnac. Tout le matériel de l’ancienne cuverie détruite y a été recyclé, et l’installation d’une toiture photovoltaïque fait montre d’un souci environnemental. Mais d’une manière générale, le bio en cave coopérative, en Languedoc-Roussillon ne prend qu’une part relativement faible: moins d’un quart du vignoble bio est en coopérative, 1 coopérative sur 4 produit du bio (66/210 en Languedoc).

Caveau des Vignerons du Pic à Assas

Vous croiserez peut-être cet été un rouge en Grés de Montpellier de Saint-Georges d’Orques ou Assas, un picpoul de Pomerols ou de Montagnac, … ou un rosé de Bessan en bord de mer. Vous saurez alors par vous-mêmes combien ces caves coopératives ont progressé sur le chemin de la qualité et de la création, comment, à leur mesure, elles contribuent par leurs efforts et leurs compétences au renouveau de la viticulture languedocienne tout autour de Montpellier.


[1] Les circuits « Oeno-rando» – démarche portée par un groupe de 10 caves coopératives de l’Hérault en Catégorie « Balades vigneronnes » » et L’Art en Cave – démarche portée par la cave de Saint-Chinian en Catégorie « Evénements, animations »

Montagnac et Pomerols : entre investissements colossaux et oenotourisme
Les Vignerons de Montagnac :
Créés en 1937
Président : René Moréno, Directeur : Jean-Louis Reffle
Fusion avec Lézignan, Tourbes, Loupian
2000 ha – 130 000 hl
50% en rouge, 25% en rosé, 25% en blanc
AOC Picpoul de pinet, AOC Languedoc Rouge, IGP Coteaux de Bessilles, vins de cépages
Circuit oeno-rando « Terroir d’art »15 Avenue d’Aumes – 34530 MONTAGNAC
04 67 24 03 74 – www.lesvignoblesmontagnac.com et www.terroir-dart.com
Les Costières de Pomerols :
Créées en 1932
Président  depuis juin 2016 : Jean-Louis Atienza, Directeur : Joël Julien
Fusion avec Castelnau de Guers, Mèze
1800 ha, dont 430 en picpoul – 130 000 hl
65 à 70 % conditionnés
AOC picpoul de pinet, IGP Oc, IGP Cotes de Thau
60 % blanc, 20 % rosé, 20% rouge
6 millions de cols, capacité portée à 8-10 millions avec la nouvelle chaîne d’embouteillage
Circuit oeno-rando  et Thaucyclette ( à vélo)
Avenue de Florensac – 34810 POMEROLS
04 67 77 89 94
Et Caveau de Beauvignac – Route de Pézénas -34140 MEZE
04 67 43 80 48
www.cave-pomerols.com
 Assas et Saint-Georges d’Orques: un passé prestigieux dans l’aspiration de Montpellier
Les deux lieux produisaient des crus très réputés aux 17e et 18e siècles

Les Vignerons du Pic :
Créés en 1939
Président : Yves Euzet, Directeur : Bruno Daneluzzi,
Fusion de 4 coopératives
629 ha en 2015
45 000 hl
AOP Languedoc et dénomination Pic Saint Loup et Grés de Montpellier, IGP Oc
60% de son activité avec les cavistes (400 en France)
20-25 % en vente directe
20 % à l’export
Progression en Grés de Mtp : de 10000 bouteilles il y a dix ans à 100 000 bouteilles285,
Avenue de Sainte Croix-34820 ASSAS
04 67 65 93 55
Et Caveau du Cellier Du Pic
2 Avenue du Pic Saint-Loup – 34 980 SAINT-GELY-DU-FESC
http://vigneronsdupic.net
Saint-Georges d’Orques, « l’émeraude de Montpellier »
Créée en 1947
Président : Robert Vidal, Directeur : Marc Fite
Fusion (la première du département en 1980) avec Celleneuve
412 ha
27 000 hl en 2015
AOP Languedoc, et dénomination Grés de Montpellier, IGP Oc
Objectif : reconnaissance en cru communal en 2018 ou 2019/21
avenue de Montpellier – 34 680 SAINT-GEORGES d’ORQUES
04.67.75.11.16
et Caveau de Celleneuve
10 rue de Gignac
  -34000 MONTPELLIER
04.67.75.22.79http://cavesstgeorges.pagesperso-orange.fr

Crédit photos aux Caves coopératives

Article paru le 11 juillet 2016 dans Montpellier-Infos et Thau-Infos

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