Dans un monde évalué par le journaliste Edwy Plenel entre deux systèmes, dont l’un peine à mourir et l’autre tarde à naître, le terroir de Frontignan, Vic-la-Gardiole et Mireval paraît lui aussi, à sa micro échelle, entre deux : monde encore rural entre deux villes, Sète et Montpellier, Vins Doux Naturel , fleurons historiques, entre deux âges, modèles de production entre intensif et artisanal, coopératif et individuel, système viticole construit autour du seul muscat à petits grains blanc, dans un monde globalisé où domine la diversité des cépages.

Etat de la production : les voies d’une difficile reconversion

Chiffres-clés

Production globale dans l’Hérault (2013) :

  • 2250 ha, soit 2,5 % de la surface totale en vigne, 9e cépage planté dans l’Hérault
  • 20 045 hl récoltés en AOP en 2013 (Frontignan, Mireval, Lunel, Saint Jean de Minervois)

Production du terroir de Frontignan, Vic, Mireval

  • 1 cave coopérative, 1 Scop, 35 caves particulières
  • Superficies cultivées en vigne : 1 326 ha en 2012, 1 288 ha en 2013
  • Part dans la surface totale de la commune : 13 % à Mireval, 17 % à Vic, 26 % à Frontignan (2013)
  • Total vin récolté : 33 032 hl en 2012, 29 580 hl en 2013
    Mireval : 1952 hl, Vic : 7132 hl, Frontignan : 23 948 hl

Production en AOP
Sur une aire de 1 000 ha : 260 en AOP Muscat de Mireval, 797 en AOP Muscat de Frontignan
13 754 hl de Muscat de Frontignan, 3 006 hl de Muscat de Mireval en 2012 – 12 852 hl et 2 622 hl en 2013
Village charnière qui possède la particularité d’abriter les deux Appellations, Vic voit sa part progresser, assurant, en 2012, l’essentiel de la production en AOP Muscat de Mireval (2 779 hl) et 822 hl en AOP Muscat de Frontignan
Poids de la production en AOP dans la production totale : 18 % à Mireval, 35,3 % à Vic, et 61 % à Frontignan en 2013

Production d’IGP Blancs (essentiellement muscats secs) en 2013
Mireval : 81,2 %, Vic : 64,3 % , Frontignan : 34,4%

Production de vins rouges et rosés (IGP et sans IG) : 1400 hl cumulés à Vic et Mireval, 1400 hl à Frontignan en 2012, presque 3000 hl sur les trois communes en 2013

Tous les indicateurs marquent un fléchissement dans les trois communes en 2012 et 2013, date des derniers chiffres complets publiés. Les superficies cultivées en vigne, les volumes de vin récolté s’affaissent, au total comme en Appellations d’Origine Protégée. De façon collatérale, la production d’IGP blancs, essentiellement en muscats secs, et de rouges et rosés progresse. Ces données brutes dressent l’état de production d’un secteur viticole qui se maintient avec peine. Au tournant de l’an 2000, des options qui se présentaient n’ont pas été retenues par la profession: une AOP générique « Muscats du Languedoc », ouvrant la porte à des appellations « Villages », une AOP pour  le muscat sec, protégeant rendements, volumes et terroir de production, vin naturellement doux (sans mutage à l’alcool) écarté de l’AOP Frontignan. Ces portes fermées, comment envisager la nécessaire et difficile reconversion d’un terroir à l’encépagement unique et aux difficultés de vente du Vin Doux Naturel ? Les progrès des techniques et de l’œnologie moderne encouragent sur l’élaboration de VDN plus légers et plus aromatiques. Le niveau qualitatif des vins progresse, les récompenses pleuvent sur le terroir (Concours Général Agricole de Paris, Muscats du monde, Féminalises, Guides de vins). Mais la vague d’abandons et d’arrachages massifs sur la campagne 2014-2015 laisse à nouveau craindre le pire, après une sévère alerte en 2009. Les dizaines d’hectares partis seront-ils replantés ? Ceux qui le seront produiront-ils encore le divin nectar?
Un nouveau défi vient alourdir les difficultés de vente et de rénovation de la viticulture locale. Elle doit faire face aujourd’hui à la concurrence de productions en muscat sec à haut rendement, quand ici, le seuil en AOP est fixé à 25 hl/ha, maxima que les vignerons peinent à atteindre sur les contreforts de la Gardiole. Autant dire que le combat est perdu d’avance. Perdu, oui, si les producteurs jouent dans la même cour avec les règles du même marché et reproduisent des modèles désuets, sans capacité à se rénover.
Mais des vignerons inventifs, dynamiques et souvent en production biologique tentent depuis plusieurs années de faire connaître une autre voie : celle de productions artisanales, certes anecdotiques au regard de productions industrielles ou de volumes distribués en grande surface, mais qualitatives, naturelles, et novatrices. Ils mettent en valeur l’identité, les particularismes du cépage autochtone. Leur savoir-faire accumulé sur cette terre ouvre la voie à un travail à la fois mémoriel et communicant, autour de la singularité et de l’excellence de ce terroir originel, berceau des muscats. Avec le Vin Doux Naturel comme marqueur de leur identité vigneronne et étendard de leur culture viticole.

L’Attachement à un cépage
Car ces producteurs valeureux l’aiment, leur cépage à petits grains. Fragile, à la maturité précoce, sensible aux maladies de la vigne, il explose d’arômes pour qui sait le cultiver, le vinifier et l’élever avec soin. Il est singulier, ce cépage gorgé de sucres au point de subir les attaques, gourmandes et dévastatrices, des abeilles et des guêpes qui en aspirent le jus. Ces caractéristiques déjà décrites par les agronomes romains, notamment Pline l’Ancien nous font penser qu’un ancêtre, un proto – cépage diraient les archéologues, était bien présent et cultivé dès l’Antiquité.
L’attachement vigneron au muscat à petits grains est naturellement lié à l’intérêt et à la subsistance, le cépage étant pendant des siècles source de richesse économique, à tel point que, dès les premières mesures possibles, début XVIe siècle, il se produit plus de vin que de grains pour se nourrir sur les trois communes, fait exceptionnel dans l’histoire viticole. La renommée du Muscat grandit bien au-delà des frontières du royaume, dans toute l’Europe et le bassin méditerranéen, jusqu’aux confins de l’Inde et aux Etats-Unis. Cette renommée de vins exceptionnels, de luxe, aux vertus médicinales avérées, écrivains, philosophes, hommes politiques, scientifiques ne cessent de la célébrer, de Rabelais à Voltaire et Colette, des frères Platter aux Encyclopédistes, d’Arnaud de Villeneuve et Gui de Chauliac au Dr Guyot.
Certes, ce patrimoine viticole prestigieux et riche se rétrécit au fil des ans. Mais ces hommes –et femmes-  courageux ne cèdent pas aux menaces économiques et à la pression de l’urbanisation. Ce sont eux les agents de transmission de ce patrimoine forgé au fil de siècles dans une pratique ininterrompue d’élaboration de vins doux, et d’excellence. Un cépage hors normes dans des paysages hors normes, sur un étroit cordon littoral entre terre et mer, pour une histoire hors normes, voilà tissé un attachement culturel entre hommes et muscat à petits grains.
Ce sont ces vignerons les fers de lance du futur millésime en AOP, aux notes minérales et épicées typiques du terroir, à la prometteuse rondeur persistante en bouche.
Ce sont ces vignerons les artisans de la diversification des productions en muscat: sec, moelleux, pétillant, assemblé en rosé muscaté, vin naturellement doux historiquement produit ici. Certains ont osé le pari de productions qualitatives en rouges,  qui ont  coexisté avec les muscats du Moyen-Age jusqu’à l’arrivée du « pinard » de l’ère industrielle.
Ce sont ces vignerons qui ont lancé le défi de la conversion en agriculture biologique sur des muscats, VDN, puis secs, il y a six ans. Conversion qui gagne les nouveaux producteurs.

Quel avenir pour le terroir?
Un patrimoine viticole pluriséculaire, vivant, bio, ressource de l’économie locale et source d’enrichissement culturel, telle est la formule gagnante que l’association Terre Apiane propose depuis bientôt quatre ans, par un regard et une action en rien passéistes ou figés. Ce patrimoine est notre plus bel écrin pour travailler à la promotion des vins, mais aussi le levier majeur pour un tourisme agricole et culturel. Ne cloisonnons pas nos esprits, tout marche ensemble : viticulture, développement économique et patrimoine intimement liés et interagissant dans les faits peuvent propulser toute une filière économique dans la lumière.
Des vignerons de Frontignan souscrivent à la démarche initiée à Vic-la-Gardiole et Mireval. L’autre grand versant viticole de Sète y répond également, avec l’entrée de producteurs d’Agde et Marseillan dans une dynamique et un cheminement originaux. Ils souscrivent tous à l’invitation lancée depuis de longs mois par Terre Apiane d’en tisser les fils ensemble, de les relier les uns aux autres pour ne pas rester coupés du monde, du vin, de la vie.
A l’heure où Frontignan célèbre justement les Muscats du monde entier, cultivons, sous quelque nom et forme qu’on lui prête (vente, oenotourisme, agro – écologie, tourisme culturel et autres) ce principe simple : faire de la rencontre d’un producteur et d’un consommateur un moment le plus agréable possible, le plus mémorable possible, le plus respectueux de son environnement possible pour que vive la vigne, le vin et le vigneron sur nos rivages créateurs de muscats, du fabuleux muscat à petits grains.

Article paru dans Thau-Infos le 30 juin 2015

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