Photo: Vignoble biologique près d’Aniane (Hérault)

L’agriculture biologique apparaît en retrait des débats économiques et sociétaux actuels. Sa voix peine à se faire entendre, au second plan des enjeux de mévente, de revenus agricoles insuffisants, de nouvelles manifestations de colère. Dans le monde du vin, la déconsommation occupe tous les esprits. Les boissons désalcoolisées, qui montent en puissance, ne sont pas encore autorisées en bio. Malgré ces perspectives assombries, la viticulture biologique continue pourtant de susciter un engouement. Elle trace avec force et persévérance son chemin vers un moindre impact sur la planète et sur l’ensemble du vivant.

Des chiffres évocateurs

Seule filière bio qui a encore le vent en poupe en 2023 (derniers chiffres connus), elle rassemble plus de viticulteurs (12 000), plus de surfaces (21,7 % des vignes sont bio), des volumes en hausse de 6 % et un chiffre d’affaire en augmentation de 7 %.
Mais elle atteint en 2024 un palier de croissance, temps d’adaptation des marchés pour absorber les volumes importants issus des récentes conversions. Le prix du bio, plus cher, pose problème avec la restriction du pouvoir d’achat. Or, quand on pense au surcoût de l’épuration des eaux remplies d’azote et de pesticides en France (entre 51 et 94 milliards d’euros, rapporte le biologiste Marc-André Selosse) la vision change. Celui du péril sur la durabilité des sols ou la santé humaine se chiffre à 2 milliards de dollars par jour dans le monde.

Si la filière marque le pas, comme l’ensemble de la profession, trois raisons d’espérer en l’avenir font jour. Les jeunes générations s’installent directement en culture bio. La spécificité de ses circuits commerciaux, axés sur la vente directe, l’impacte moins (seulement 8 % des ventes en grande distribution, secteur le plus touché par la baisse). D’autre part, des marchés s’ouvrent à l’export, notamment dans les appels d’offres sur l’Europe du Nord, le Canada, demandeurs de « mieux-disant environnemental » et de labels bio.

Une viticulture de conviction

A travers ces chiffres, la viticulture biologique apporte un modèle positif pour la mutation écologique et sociétale nécessaire. Elle agit pour un bien commun, en protégeant les sols, la ressource en eau, le vivant, la santé. La bio construit encore dans un monde en voie de dérégulation, propose une action concrète et mesurable pour le vivant. Elle multiplie les modèles agroécologiques : agroforesterie, permaculture, agriculture régénérative, comme l’hydrologie des vignobles en keylines, recyclage du carbone produit dans la terre. En cave, elle veille au réemploi des bouteilles, à la fabrication de matières sèches (étiquettes, bouchons) recyclables.

Vignoble du Faugérois (Hérault)

Montpellier, the place to go

L’Occitanie occupe une place particulière dans le développement de la viticulture biologique. Pionnière lorsque, contrainte à des arrachages massifs, tout était possible à expérimenter, elle est devenue la première région viticole bio de France (22,6 % des vignes bio). Dès avant la Saint-Vincent, célébration nationale du patron des vignerons jusqu’à la Saint-Valentin, le monde bio converge vers Montpellier sous l’impulsion de l’association Sudvinbio. Le concours Challenge Bio, organisé les 14 et 15 janvier, réunit 2000 échantillons et 450 dégustateurs. Le président du Jury, Jérôme Gagnez, qui officie sur France Inter dans l’émission « On va déguster », rappelle l’effort consenti par les vignerons bio : « La viticulture bio est le signe d’une volonté d’en faire plus pour faire mieux. C’est plus compliqué. Les vignerons ont plus de peine, plus de difficultés, mais c’est un engagement fort. Ils méritent le respect ».

Le salon Millésime Bio, réservé aux professionnels, attend, du 27 au 29 janvier, 1 500 exposants, venus de 16 pays, 11 00 visiteurs inscrits. Il concentrera son attention sur les marchés, l’export, les tendances de consommation, l’empreinte carbone mais aussi la biodiversité, avec un concours récompensant les initiatives partout en France. En off, la planète bio s’agrandira d’une multitude de salons parallèles. Ensuite pour que la fête soit partagée avec le plus grand nombre, une série d’animations se déploiera pendant quinze jours, du 1er au 15 février, dans la métropole montpelliéraine. Bars, cavistes, restaurateurs, magasins spécialisés se mettront au diapason pour faire déguster, éduquer, promouvoir les vins bio auprès des publics dans un « vitinéraire urbain ».

Une culture pétrie de son temps

La culture biologique se place au cœur des grands enjeux planétaires de conservation des espèces et du climat. Elle est entrée en phase avec les consommateurs avant les grands bouleversements de la décennie (crise sanitaire, contexte international, déconsommation et mévente). Pourtant, ces préoccupations redeviennent secondaires face à la situation économique. Devrait-on choisir entre la fin du monde ou la fin du mois ? Des initiatives fleurissent dans les métropoles, notamment à Montpellier, pour œuvrer à une bio pour tous. La production d’une micro-agriculture urbaine est reversée à des associations pour que les plus démunis aient accès à une alimentation saine.

La filière biologique avance, pas à pas. Aujourd’hui, elle résiste mieux que d’autres aux bouleversements, fidèle à une éthique, à ses origines qui l’ont habituée à braver toutes les adversités.

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 19/01/2025: 
https://www.lepoint.fr/vin/vignes-et-vins-bio-bravent-les-crises-19-01-2025-2580303_581.php

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