Une culture du métissage

Des générations de cépages racontent la multitude d’influences fondatrices. Le vin antique des Daces fixe la renommée de la région. Au Moyen âge, les influences germaniques amènent welschriesling et pinot gris, traminers. Elles assurent la prédominance des vins blancs. Le muscat ottonel, « nectar de Transylvanie », y règne en maître des vins doux. Après le phylloxéra, fin XIXe siècle, le vignoble est replanté en cépages français, chardonnay, pinot noir, aligoté. Aujourd’hui, cabernet sauvignon et merlot, les plus nombreux, représentent à eux seuls 20 000 ha de vignes. En parallèle, le pays redécouvre ses cépages anciens aux noms mélodieux. Fetească regală̆ et fetească albă en blanc, très florales, babeascà̆ neagră et fetească neagră, negru de Drăgășani en rouge sortent du lot.
Les impératifs qualitatifs ont dopé la richesse naturelle des sols et des traditions dans un savant mélange de paysages ancestraux et d’équipements ultra-modernes. La maîtrise des winemakers impressionne, d’abord venus de toute l’Europe, puis issus de l’école roumaine aujourd’hui. Ils jonglent avec bonheur tant avec les cépages internationaux que les cépages locaux, les assemblent sans frein. Le travail sur les variétés endémiques, qu’ils se réapproprient, donne des vins merveilleux de fraîcheur et de finesse sur les blancs, de complexité gourmande sur les rouges. « La feteascà, c’est l’histoire de la Roumanie. Elle vient d’ici, et du passé » me confient-ils. Elle témoigne de la qualité intrinsèque des terroirs, et d’une longue pratique même interrompue un temps.
Ces nouveaux chefs de culture et vinificateurs génèrent des goûts différents, nés de la particularité des terroirs, de l’empreinte de leur histoire et de leur patte. Une énergie se dégage de leurs vins.  Ainsi, sont-ils aujourd’hui capables de répondre à une demande croissante pour des vins de qualité. En prise avec les marchés, réactifs face aux évolutions de consommation, ils élaborent dès maintenant des vins plus frais, moins charpentés, moins élevés en barrique.

Des palettes aromatiques surprenantes

Une tradition de vins doux conservée (tamiosaca romanesca et muscat ottonel, grasă de Cotnari) et d’effervescents remis au goût du jour, des vins blancs prédominants s’enrichissent aujourd’hui de rouges attractifs.
L’élégance de blancs très floraux (fleurs blanches, bois de rose) aux pointes d’épices, sur Fetească alba et regală, équilibrés, se renforce parfois, avec une belle longueur en bouche sur chardonnay et sauvignon. Et des pinots gris à nous faire pâlir ! Des rouges soyeux se déploient sur pinots noirs de garde, fins et équilibrés, des fetească neagra complexes, sur la prune séchée, les fruits rouges et sous-bois, onctueuses jusqu’à la suavité. Corsés ou plus légers, surprenants comme le negru de Drăgăşani de Viile Metamorfosis, comme ils sont loin de l’image de vins rugueux, aux tanins mal maîtrisés.

Des cultures à la marge 

A la marge de ce mouvement de fond, survivent dans les campagnes profondes des treilles familiales d’hybrides,choisis pour leur résistance. Symboles d’une viticulture de paysans, d’une consommation rurale opposée aux urbains raffinés, elles incarnent une culture en train de disparaître, des raisins et du vin vendu sur le bord de la route comme nous avons pu la rencontrer au cœur du Dealu Mare, dans des régions plus reculées du piémont des Carpates, jusqu’au centre même d’une ville touristique comme Sighişoara.

Une culture biologique émergente commence à se structurer, notamment dans le Dealu Mare et la Dobrogée. Quelques domaines reconnus sont labellisés. Le premier, Dominele franco-romane de Denis Thomas, aujourd’hui repris par des Roumains, est passé en bio en 2006. Petro Vaselo exploite à Timis 172 ha certifiés. Sur des collines du Banat bénéficiant d’un microclimat, ses vins puissants ont montré la voie du renouveau dans le respect possible de l’environnement. Dominele Bogdan, dans la Dobrogée, a construit un modèle à grande échelle, passant même en biodynamie (Demeter) en 2019. A Lechburg, les Italiens Guarato élaborent des vins fins, des muscats surprenants, avec du caractère. En DOC Lechinta également, Jelna Wines suit un modèle agroécologique complet, mais non certifié encore.
Des conversions partielles amènent une transition en douceur. En effet, des pluies abondantes et un vent qui ne passe pas dans les vallées profondes ne jouent pas en la faveur du bio, notamment en Transylvanie. Budureasca passe en culture biologique sur 7,5 ha. L’emblématique Viile Metamorfosis du marquis Piero Antinori entame sa mutation dès 2013.
La Sapata, près du delta du Danube, montre un autre modèle possible, éthique. Roberto di Filippo importe d’Italieune culture du vivant en bio et biodynamie qui remet en route une économie locale, des travailleurs en souffrance.
Dans le respect de la terre et des cycles naturels, ces vins expressifs mettent en valeur la complexité et l’énergie qui se dégage des terroirs.

Le bois, l’autre histoire du vin en Roumanie

Les forêts roumaines dominent le paysage intérieur, en trois grands massifs : Transylvanie, Moldavie et Valachie. Le mérandier Vlad créé dans les Maramures (Carpates) une branche tonnellerie en 2003, redonnant souffle à une sylviculture à la française. A sa tête aujourd’hui, Théodore Vlad l’a transformée. Intégrée au groupe Charlois, en tant qu’« atelier du patrimoine vivant », elle donne une nouvelle impulsion au bois roumain, déjà réputé pour fournir des contenants compétitifs. La maîtrise de toute la filière, sa force, soigne la maturité du bois, des chauffes artisanales, une typicité recherchée en Europe.

Limites du modèle

Malgré tous ces atouts rassemblés, les vins roumains pâtissent encore d’une mauvaise image de marque. Changer cette perception relève d’un travail de longue haleine. Tout comme atteindre des prix de vente en rapport avec leur qualité montante.
Le pays, peu peuplé (19 millions d’habitants) offre un volant de consommateurs limité. Reste à gagner sa place sur les marchés internationaux. Ces beaux vins s’exportent peu, entre 3 et 5 %, faute d’une structuration du secteur. D’autre part, les fonds européens ont servi à beaucoup planter des cépages mondialisés, mais sans se soucier de leur concurrence avec des pays leaders.
Sous les mêmes latitudes que nous, la Roumanie souffre des mêmes problématiques climatiques, qui perturbent les cycles végétatifs et affectent la qualité des raisins. Cette année, au gel printanier, à l’absence de pluies l’été, voire plusieurs mois de sécheresse dans le sud et l’est, a succédé une tempête dévastatrice en septembre. Les vendanges ont démarré avec un mois d’avance et des volumes de blancs en nette baisse. Mais avec les bouleversements climatiques, le cœur de la Transylvanie et le piémont des Carpates évoluent vers de grands vins rouges, notamment sur cabernet-sauvignon, pinot noir et fetească de garde.

Le gouvernement roumain, dans ses premières campagnes de promotion, formulait le vœu « que le vin, grande ressource naturelle, porte-parole de l’histoire, de la culture de la tradition d’un peuple devienne dans le futur proche le premier ambassadeur de la Roumanie dans le monde. ». Après une première phase de réappropriation qualitative par de nombreux investisseurs européens, une nouvelle génération roumaine arrive, impulsant un nouveau souffle technique et gustatif. Elle contribue à faire du vin un agent d’intégration économique et culturel à l’Union Européenne.

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