Entre Méditerranée et Mer Noire, les Balkans émergent sur la scène viticole européenne. Un vent de fraîcheur et de maîtrise technique souffle sur des traditions millénaires. Jeune pays aux frontières longtemps mouvantes, la Roumanie notamment renoue avec un passé prestigieux. Des terroirs aux influences culturelles multiples, attestés dès l’Antiquité ont constitué le socle de grands vins. Emportés par le phylloxéra, deux guerres mondiales et l’ère de vin de masse communiste, ils ont disparu.
En toute discrétion, s’élaborent à nouveau des vins convaincants, sans complexes, qui entendent percer, dans une conquête de l’Ouest bien à eux. En effet, cette terre de tous temps favorable à la vigne, est entrée, en même temps que dans l’Union Européenne, dans une effervescence salvatrice. Épaulée par des investissements et winemakers étrangers, elle entame aujourd’hui une nouvelle phase de développement, proprement roumain tant dans le mode de propriété que dans les savoir-faire culturaux.

La Roumanie dévoile ses atouts (1/3)

Le vin roumain en quelques chiffres

4,5 millions d’hl (11e producteur mondial), une consommation de 15 litres de vin par habitant et par an, 3 % de la production exportée, telles sont les données chiffrées en 2023. Les superficies ont tendance à baisser dans les années 2020. De 242 700 ha en 2002 – l’équivalent du vignoble chilien -, elles passent à 187 000 ha en 2023 (8e rang mondial).
Une poignée de domaines de taille considérable, mais un nombre croissant d’installations sur de plus petites unités complètent ce tableau d’une viticulture en mutation.

Un maître-mot : la diversité

Des paysages contrastés, des Carpates à la mer Noire, l’omniprésence de forêts peuplées d’ours, parsemées de châteaux et monastères ont alimenté bien des récits et légendes. Aux collines et reliefs toujours plus montagneux vers le nord succèdent les plaines céréalières, tandis que les bras du Danube jusqu’à son delta enserrent le pays de leur biodiversité protégée. L’accueil est spontané, chaleureux, avec ce sens latin de la fête. Un calme règne, qui surprend, face à l’agitation de l’Europe de l’ouest.
Au pays des Daces, l’histoire, faite de dominations successives (gréco-latine, germanique, austro-hongroise, ottomane) a façonné une culture viticole par strates, sans unité territoriale. Cette complexité d’influences en fait toute la richesse. Elle nourrit une culture de mixages, des cépages ou techniques comme des esprits. Elle crée aujourd’hui des goûts nouveaux, une fraîcheur indéniable. La Roumanie, effacée de la scène mondiale des grands vins, signe ses intentions.

Une reconstitution du vignoble en cours

Les années 1990 marquent un tournant.  Les vastes structures de production étatisées sont vendues aux enchères. Tout est à refaire.  Mais le pays attire l’attention de l’expert Hugh Johnson séduit par le potentiel de ses terroirs. Les premiers à le suivre : quelques européens aventuriers, comme le pionnier Guy de Poix, Petro Vaselo, Olivier Bauer, Denis Thomas.
Ensuite, une volonté gouvernementale s’exprime dans la reconnaissance du vin comme produit d’importance stratégique, en 2005, par le Ministère de l’Agriculture et le Commerce Extérieur. Un plan stratégique est bâti pour valoriser la qualité des vins par des appellations (DOC) ou des indications géographiques (I.G.) sur le modèle européen. Enfin, la Roumanie va se spécialiser dans ses cépages autochtones. L’idée est déjà présente de « combiner technologie et tradition ancrées dans le pays » (campagne de communication à Prowein, Düsseldorf).
Le 1er Janvier 2007, la Roumanie intègre l’Union Européenne. Une agriculture de subsistance occupe encore 45% de la population. Un immense chantier s’ouvre, pour remplacer des infrastructures vieillissantes, les gros volumes de piètre goût et les circuits de commercialisation. Les financements européens vont constituer une manne (plus de 40 millions d’euros par an) au service d’équipement en matériels modernes, technologies performantes mais aussi en savoir-faire viticoles. Winemakers et investisseurs français, italiens, allemands, autrichiens, hongrois convergent alors.

Des terroirs à foison

A la même latitude que les plus grands vignobles – le fameux 45e parallèle-, la Roumanie a tout pour plaire à la culture : un bon ensoleillement, des terres riches, des sols variés, des climats favorables. Quelques régions privilégiées, une cinquantaine d’appellations  le confirment.

La Transylvanie, sur son plateau fertile en légendes, abrite des terroirs réputés, comme le Dealu Mare, « la grande colline », en DOC. C’est là, dans des Subcarpates sillonnées de vallées et de rivières où la vigne a toujours prospéré,que part le renouveau. En 1994, le comte corse Guy de Poix, fasciné par la dégustation d’une fetească neagra, investit dans la première winery privée, Serve. Dans ce périmètre restreint, près de Mizil, naissent ensuite des domaines majeurs. Davino, référence dans la pureté des variétés pour les agronomes élabore à partir de 2003, sur 87 ha, des vins racés, puissants, dans le style bordelais. L’autrichien Walter Friedl crée Lacerta :  82 ha replantés, 8 millions d’euros investis. Un peu plus loin, le marquis Piero Antinori, dont la famille toscane investit partout dans le monde, créé un vignoble de 100 ha, Viile Metamorfosis. Il opère bien une métamorphose des vins roumains, qui restitue la typicité de la région et le plein potentiel des cépages. La Dominele franco-romane (DFR) du bourguignon Denis Thomas, dans le même secteur, mixe techniques traditionnelles et technologies modernes. Plus tard, à Budureasca, un des plus gros producteurs (275 ha) se dote d’équipements ultra-modernes, et d’un chai avant-gardiste. Il véhicule dans une vingtaine de pays l’image logotée du roi dace Decebal.

Quelques vignobles antiques renaissent tout au nord, en DOC Lechinta, avec Liliac ou Jelna Wines par exemple. Une tradition de vins blancs secs aux notes délicates épicées s’y double aujourd’hui de rouges subtils.
A l’ouest, près de Timisoara, le serbe Petro Vaselo fut l’artisan dès 2002 d’un retour de la vigne dans le Banat.
Le plateau de Tarnave abrite des investisseurs comme l’allemand Oberrauch à Villa Vinea.Jidvei, fondé en 1949 et privatisé 50 ans plus tard, s’est grandement modernisé autour du château médiéval. Le plus gros producteur du pays et d’Europe, sur 2 500 ha, pionnier dans l’innovation technologique, a investi 100 millions d’euros dans une modernisation vertigineuse. Sa feteasca alba n’a pas à rougir de la comparaison.
Quant à la Moldavie roumaine, qui couvre un tiers du vignoble du pays, elle n’a cessé d’élaborer des vins doux passerillés réputés à travers l’Europe, notamment dans le vignoble de Cotnari. La casa de Vinuri y incarne la fusion entre tradition – que des cépages autochtones- et les plus récentes technologies, sur 350 ha.
Le plateau ensoleillé de Dobrogée, jusqu’au delta du Danube et à la mer Noire, bénéficie de sols fertiles et d’un climat maritime. Alira, dès 2006, sur le modèle bordelais, Murfatlar en ont construit la réputation.

Guy de Poix remarque très vite la complexité « assez impressionnante » des terroirs (RFI, 2008). Le tchernoziom de Transylvanie, terre noire riche en humus « la meilleure pour le vignoble » n’exige quasiment pas de fertilisants, explique Ovidiu Maxim, à Turda.  Les sols volcaniques près de Bistrita, avec un Ph très élevé, alcalin « donnent une activation de cations minéraux très intéressante, une énergie » décrit Darius Pripon à Jelna.
Tout est en place pour reconstruire des vignobles et des vins de qualité.

Cet article a paru sur Le Point Vin en ligne le 30 octobre 2024: https://www.lepoint.fr/vin/roumanie-le-vin-se-leve-a-l-est-30-10-2024-2574093_581.php
Il est suivi de  A la rencontre de cultures du vin: https://lesclosdemiege.fr/2024/11/le-vin-se-leve-a-lest-en-roumanie-aussi-a-la-rencontre-de-cultures-du-vin-2-3/

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