Photo: Présence de Joël Bast à la vigne

Une sombre année 2023 a mis à l’arrêt quelques-unes de mes activités. Laissant s’écouler la peine et les jours, en subsiste aujourd’hui la douceur masquée, l’or dans un verre, des écrits à paraître. Le sacrifice de quelques mois recluse n’est rien à côté de la perspective de tenir bientôt entre mes mains le livre qui en a jailli.

Des vignes, une biodiversité abandonnées

J’ai laissé mes vignes. Cruel aveu à jeter sur la feuille. Combien de mois a-t-il fallu avant de pouvoir le poser par écrit, l’exposer. Je n’ai pas prolongé mes baux de fermage qui venaient à expiration. Mes vieilles vignes, déjà lasses de tous les assauts de bêtise humaine les saccageant comme taries par l’appétit des étourneaux, ont rendu les armes. Elles avaient droit au repos de guerrières pacifiques, finissant doucement leur vie.

Il a été bien plus ardu de lâcher dix ans de travail plongé dans le cycle du vivant, végétaux et animaux confondus. La biodiversité retrouvée au fil des ans, tendant vers un équilibre entre espèces, soigneusement entretenue -c’est-à-dire sans intervention ! – m’a donné les plus grandes joies, les élans les plus fous, une inspiration quotidienne. Intellectuel et spontané, irréfléchi (comme décider au bout d’un an de ne plus labourer) liés à jamais, je me sens aujourd’hui orpheline de tout ce que j’ai vécu à ses côtés.
L’éclosion des premières feuilles au printemps,
Les senteurs brèves et entêtantes de la vigne en fleur,
Les grappes dorant au soleil,
Perdrix et faisanes nichant dans quelques pieds,
Des essaims de guêpe aussi,
La naissance de renardeaux pendant deux confinements,
L’empreinte de marcassins dormant l’été contre les souches,
Les orchidées et le thym sauvages descendant de la garrigue,
Les diablotins et les vers de terre, les oiseaux, précieux auxiliaires
Les salades et asperges sauvages cueillies et aussitôt croquées…
Tout me manque de cette explosion de vie, la dureté de la taille sous un mistral violent, la chaleur étouffante d’un 14 juillet à soigner les vignes contre l’oïdium aussi. Je n’observe plus ces cycles sans cesse recommencés et jamais les mêmes.
La satisfaction de laisser des parcelles certifiées biologiques affronte l’indifférence, le mépris … et la spéculation foncière galopante sur les terroirs historiques du muscat. La vue de la déshérence dans laquelle elles sont tombées fend le cœur, révolte l’esprit. Pourtant, elles poursuivent leur vie, sans moi, indifférentes au sort.

 

Des vins, un livre en héritage

Voilà, je ne pars plus les rejoindre le vendredi matin ni le week-end. Mais généreuses jusqu’au bout, pourvoyeuses de petits bonheurs et de grands mystères, elles m’ont légué sur le chemin des raisins élevés au long cours, et un livre. Quel héritage pour les prochaines années ! Alors, reprenant notre bâton de pèlerins, deux cuvées sous le bras et un trésor de surmaturation en barrique depuis dix ans, nous remettons l’ouvrage sur le métier.

Un futur rancio

Nourri chaque année de nouveaux fonds, en solera, un muscat attendra tant qu’il voudra. Délivré de ses sucres résiduels, il prolongera sa mue en vin oxydatif sec, en rancio, comme ses cousins catalans.

Un dernier Originel pour la route

Il fallait bien terminer comme nous avions commencé, par un Originel dans la rondeur, la souplesse. Avec 27 mois d’élevage, la qualité 2021 s’expose avec ses arômes caractéristiques de coin et d’agrumes, relevés d’épices.
Consultez ses notes de dégustation ici: https://lesclosdemiege.fr/degustation-de-loriginel/

Prima Ora fait sa révolution

Il fallait au moins cela pour clôturer l’expérience historique d’une cuvée renouant avec des pratiques anciennes oubliées, une surmaturation par passerillage, sans mutage. Certifiée biologique, elle se présente aujourd’hui après 40 mois d’élevage et en bouteille de 50 cl. Un nez complexe, une bouche veloutée s’équilibrent dans une fraîcheur étonnante.
Ses notes de dégustation ici: https://lesclosdemiege.fr/degustation-de-prima-ora/

 

Le vin par tous les temps

Je vous donne rendez-vous le 17 mai prochain pour la sortie du livre que cette expérience a permis d’engendrer. Marc-André Selosse, professeur au Museum National d’Histoire Naturelle, spécialiste des micro-organismes, m’a fait l’honneur de le préfacer. Je vous proposerai de cheminer ensemble au milieu de vins et de cépages, de conduites biologiques pionnières, adossées à une histoire en perpétuel mouvement à travers une chronique de la décennie 2012-2022.
A l’heure d’enjeux cruciaux, l’ancienneté de notre viticulture comme la continuité de la pratique à travers les siècles nous confèrent une responsabilité : rechercher les voies d’un futur possible pour les générations qui nous suivent, à l’horizon 2030.

 

Donner encore du temps au temps ?

La vigne, source et ressource, reste dans mon cœur, au cœur des battements et des préoccupations d’un monde pour demain. Est-il possible de donner encore du temps au temps dans cette accélération de l’histoire que nous vivons ?  Appuyé par le soutien de mes enfants, l’espoir de reprendre un projet collectif, en dormance, renaîtra peut-être d’un printemps silencieux.

Alors, une fois encore « se retrouver dans la nature, notre temple des sources oubliées. Vivre, se régénérer en un bain de jouvence ». Tel un « oracle de la nature, faire un avec elle » en suivant l’artiste-shaman Thierry Lambert.

        Photo: Oracle de la nature, Thierry Lambert

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