Réflexions sur les 30 ans de Millésime Bio à Montpellier
Pendant quatre jours, à la fin du mois de janvier, en un rituel désormais installé, Montpellier se mue en capitale mondiale des vins biologiques. Le salon Millésime Bio, organisé depuis 1993 par les vignerons eux-mêmes, au sein de l’association Sudvinbio, y célèbre ses 30 ans. 1 500 exposants sont venus de 19 pays pour souffler ses bougies. L’occasion nous est offerte de faire le point sur une culture dont le rôle protecteur et précurseur propulse l’ensemble de la filière en avant, pour un bien commun.
La tenue du salon dans la métropole montpelliéraine ne doit rien au hasard. L’Occitanie, élue meilleure région agricole bio en Europe, première productrice de vin bio en France, avec un tiers des vignes cultivées, s’est érigée en tête de pont du plus grand vignoble bio au monde. Avec 160 000 ha, conversions incluses, 3 millions d’hl produits en 2022, le vin figure en pointe des productions bio en France. Sa croissance, vertigineuse, a multiplié les surfaces par 20 en 20 ans.
Alors qu’il n’a cessé de rallier, puis de convertir des adeptes, il marque le pas dans un contexte troublé, économiquement tendu avec une baisse de la consommation de vin en France. Pourtant, les allées bruissent de vitalité, avec une belle fréquentation à la clé, tandis que les conférences rappellent tous les bienfaits du bio.
Un rôle protecteur lentement reconnu
La culture biologique propose dès les années 1920 des alternatives aux prémices d’une agriculture intensive, usant d’engrais chimiques de synthèse. On cite souvent l’autrichien Rudof Steiner, en omettant que le mouvement de penseurs concerna toute l’Europe, de l’Angleterre de Sir Howard à la Suisse ou l’Allemagne, jusqu’ensuite le Japon de Fukuoka. Au cœur de préoccupations : préserver la vie et la fertilité des sols. L’agrobiologie gagne la France après-guerre, portée par les labels privés de Lemaire et Boucher puis Nature & Progrès. Mais elle est cantonnée à la marge en l’absence de reconnaissance officielle. Le premier cahier des charges français date de 1985. Enfin, en 1991, peut-on parle légalement de « raisin biologique ». Après vingt ans de bataille, c’est la vinification et donc le vin qui est reconnu biologique par la réglementation européenne en 2012. La certification publique garantit une éthique qui redonne vie à la terre, préserve les ressources naturelles, reconstruit des équilibres. En ce sens, elle répond à une demande sociétale devenue centrale en faveur de l’environnement, du climat, de la biodiversité.
Longtemps, dans les études d’opinion commandées par Sudvinbio, la préoccupation des consommateurs de vin bio a porté principalement sur sa santé, et le fait de boire un vin exempt de pesticides, herbicides ou OGM. C’est d’ailleurs pour protéger leur propre santé que beaucoup de vignerons se sont convertis au bio. En 2023, le souci de l’environnement est passé au premier plan pour le consommateur. Les qualités intrinsèques du vin bio arrivent toujours en 3e position dans son choix. Moins d’intrants en cave, moins de techniques traumatisantes visent à élaborer un vin plus sain.
Le goût d’un patrimoine ?
Virgile Joly, œnologue et vigneron à Saint-Saturnin (Hérault) exprime aussi que « avec des levures indigènes qui viennent typer le vin, les vins bio vont avoir plus de complexité, plus de profondeur, des choses qu’on ne trouve pas dans un vin standardisé ».
Avec la culture biologique ont ressurgi des pratiques anciennes de bon sens (travailler avec les vents, les pressions, les lunes), d’observation de sa parcelle, de complantation des espèces végétales ressurgissent. Le retour à la polyculture crée les conditions à la fois de renouvellement des sols et d’autonomie alimentaire. « Des vins plus à l’image de la nature, du terroir, de l’homme qui le pratique » résument Pierre-Henri Cosyns et Pascal Boissonneau, à la tête des Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine.
La démarche trouve un nouvel aboutissement en 2023. Deux Appellations vont vendanger avec la dénomination complémentaire « 100 % bio » : l’AOC Corse-Calvi et l’AOC Baux de Provence. Sous les cieux cléments de la Méditerranée, sur de petites surfaces (300 ha pour Calvi, 8 villages de Alpilles pour les Baux), des vignerons marquent leur attachement à « mettre en vin le terroir ». Ils exaltent leur biodiversité incomparable, leurs anciens cépages réhabilités en Corse, ou l’exemple d’une réussite tant individuelle que collective que raconte avec passion la formatrice Fanny Barthélémy.
Des pionniers inspirants
Précurseurs, les vignerons bio l’ont été. C’est ce que soulignait Michaël Delafosse, Maire de Montpellier, dans son discours d’anniversaire : « Aujourd’hui, tout le monde parle bio, les consommateurs, les grands opérateurs, les viticulteurs. Mais vous [Sudvinbio] vous avez eu le meilleur des esprits, l’esprit pionnier, animé de courage, d’abnégation pour défendre une conviction (…) L’histoire vous donne raison ». Aujourd’hui, tant à la vigne, en cave que dans la bouteille et son habillage, la culture bio inspire la filière.
Engrais verts, enherbement où viennent paître les moutons, reconstruction de haies, de nichoirs, de mares sont assimilés par de nouveaux courants, bio ou pas. Agroforesterie et permaculture en émergent.
Après la physionomie des vignobles, la culture bio a modifié le travail en cave par la diminution drastique des intrants, voire leur disparition en biodynamie et en vin nature. La question des sulfites a entrainé toute la profession à les réduire. Les chercheurs en œnologie travaillent même sur des levures qui les « avalent ». L’importation d’amphores et de vins orange géorgiens par le monde des vins nature a rencontré un tel succès que leur usage est repris partout.
Limiter l’empreinte écologique du vin occupe toutes les allées du salon. La vigne fait partie des végétaux qui captent le carbone. Un cercle vertueux le recycle en cave pour le remettre en terre par compostage (upcycling), empreinte positive du vigneron pour la planète. Le zéro-déchet, le recyclage chers à la philosophie bio trouvent leur traduction concrète dans le retour de la consigne des bouteilles, ou l’utilisation de rafles de raisin pour la confection d’étiquettes, comme au Domaine de la Grangette (Hérault). De nouveaux emballages allègent le poids des bouteilles et de l’empreinte-carbone. Canettes, bouteilles en lin, en carton … tout se tente.
Une consommation individuelle pour le bien de tous
L’élaboration de vin bio requiert du temps, de l’analyse … et de la main-d’œuvre. Son prix plus élevé fait débat. Il vit ce paradoxe d’être plus cher à l’achat individuel mais moins cher pour la collectivité, par sa préservation des paysages, des ressources naturelles, notamment l’eau, et de la santé publique. Il s’agit pour Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, de « faire accepter le juste prix du bio : celui qui valorise le travail du vigneron et qui prend en compte la part du bénéfice auquel il contribue ».
Par essence, les vignerons bio observent, expérimentent, répondent aux problématiques nouvelles qui surviennent. Leurs innovations sont peu à peu reprises par l’ensemble de la profession, avec conviction, ou pour des visées plus marketing apparentées à un greenwashing. L’émergence de labels environnementaux qui se mettent sur le même plan que la certification biologique créent une confusion dans l’esprit des consommateurs (label HVE par exemple).
Les acteurs du bio qui ralliaient Montpellier et son panache vert ont recadré le propos sur ce qu’est le vin bio, son état actuel, son avenir possible. Comment ne pas laisser le mot de la fin à l’un de ses pionniers, engagé il y a 40 ans dans la production et le négoce languedocien, Jacques Frelin ? « Le marché bio est une vague qui ne va pas s’arrêter pour quelques problèmes conjoncturels, énergétiques ou autres (…) La viticulture bio est une partie de l’avenir de la filière vin ».
Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 6 février 2023 sous le lien suivant: https://www.lepoint.fr/vin/du-vin-bio-pour-un-bien-commun-06-02-2023-2507612_581.php