Photo: Sudvinbio

Vins biologiques, biodynamie, vins nature, Montpellier capitale du bio

 

1ere partie : A Millésime Bio

Il flotte un air inaccoutumé dans les couloirs du Parc des Expositions de Montpellier. Un air de retrouvailles démasquées, de visages souriants et réconfortés. Après toutes les épreuves traversées, le vin, symbole même de convivialité, retrouve ses marques pour célébrer le nouveau millésime en bio, comme chaque année depuis 29 ans. Parti d’une poignée de pionniers, le salon s’est transformé en évènement mondial pour la culture biologique. C’est toute une planète qui converge vers sa capitale : 1450 exposants, répartis dans les meilleures conditions sanitaires possibles sur 4 halls, 20 pays, une présence toujours forte du Languedoc, première région bio de France avec 3000 exploitations, 51 000 ha (incluant les conversions). Tous réunis sous une même bannière, un même stand de bois chaud, la même certification, précieux sésame. Un salon par des professionnels, l’association Sudvinbio, pour les professionnels, le précepte plane toujours, revendiqué comme un étendard.

Un monde biologique sous le signe de l’ouverture

L’ouverture aux autres boissons alcoolisées, notamment aux bières, s’est confirmée. Les brasseries bio poussent comme des champignons un peu partout en France. Les master class s’inscrivent dans ces nouveaux territoires, cidres, cépages résistants ou vins sans sulfites ajoutés. Le monde du vin bouge, et Millésime Bio avec lui. « On s’entend sur une démarche très simple, certifiée. Un socle commun se bâtit, mais c’est juste un socle commun. Autour, nous travaillons vers une biodiversité, une réduction de notre impact d’émissions de gaz à effets de serre et de démarches écoresponsables autour du verre, des emballages et du transport » explique Jeanne Fabre, présidente de Millésime Bio. Un coup de cœur a été ainsi décerné à Ethic Drinks, entreprise bordelaise de création d’étiquettes avec encres et papiers écologiques. « Il ne faut pas penser que notre métier, pousser notre réflexion, englober tout ce qui l’environne » poursuit-elle.

Les épreuves ont poussé à innover, accélérer des mutations. La tenue du salon en digital depuis 2021 en est un exemple notable. Les conversions se sont poursuivies. Si le marché redémarre lentement, le président de Sudvinbio, Nicolas Richarme, affiche la même sérénité que Jeanne Fabre. Le bio a toujours connu des épisodes de tassement après une croissance, le temps d’absorber les nouveaux venus. Il vise désormais le grand export, les marchés nord-américains.Ses pratiques rayonnent d’ailleurs au-delà des vignerons bio. Pour preuve, l’agroforesterie, le retour à la polyculture, la recherche des cépages anciens, l’entretien des haies ou la reconstitution de mares et même le sans sulfites ajoutés ont fait tache d’huile dans l’ensemble de la viticulture, qui s’en inspire.

Un monde biologique sous le signe de la diversité

Les allées de Millésime Bio respirent une culture qui préserve des cépages, des sols, des pratiques, invente. Une culture, ou plutôt des cultures biologiques, affinent leur observation à la vigne comme en cave, avancent dans leurs expérimentations. La biodynamie occupe aujourd’hui ¼ des stands, et même 27% des exposants français, confirmant l’engouement croissant des vignerons bio pour cette pratique. Les premières cuvées certifiées en Vin Méthode Nature y apparaissent aussi. Ces cultures relèvent des challenges à la vigne, dans les choix de ne plus utiliser de chimie de synthèse, créant un lien très fort à son raisin par le soin apporté. Mais c’est en cave que le challenge, technique, s’avère le plus risqué. Il relève d’un travail d’équilibriste, sans filet.

Il s’agit de « faire le chemin inverse du recours à l’oenoprotection pour se passer d’intrants. C’est revenir à la naturalité, lâcher prise dans une vision holistique » mais aussi prendre conscience que « tout est affaire d’équilibre » pour Pierre-Henri Cosyns. Encore un hurluberlu aux cheveux longs et à la tenue rock’n’roll ? Pas vraiment. Vice-président des Vignerons bio de la Nouvelle Aquitaine, administrateur de Francevinbio, siégeant à l’INAO, Pierre-Henri, ingénieur physicien, a repris le château familial du Grand Landay en Cote-de-Bourg. Il a connu dès sa première vinification, sur un millésime compliqué, l’apport de tous les intrants possibles pour stabiliser et protéger le vin. « Plus on montait en gamme, plus il y avait d’intrants » pour protéger la précieuse vendange. En bio à partir de 2009, sans sulfites ajoutés (2013) biodynamie (2018) et maintenant en Vin Méthode Nature, il a en effet cheminé Son sauvignon gris (le seul côte-de-bourg blanc bio) démontre l’aboutissement de ce cheminement vers l’harmonie.

Les petites appellations aussi

Des chardonnays droits comme des i, des gamay aux senteurs de sous-bois et champignons caractéristiques de son terroir, Lucie Jullian soigne ses AOC coteaux-du-Lyonnais. Sur le domaine familial de Prapin, elle creuse différentes voies d’élevage, dont les macérations longues en amphores, un support déstabilisant car le vin bouge tout le temps à la dégustation. « On n’apprend pas la biodynamie du jour au lendemain. C’est beaucoup d’observation et de ressenti. C’est aussi une façon de vivre au quotidien ». Elle cherche désormais à travailler en autarcie sur son domaine en polyculture, appuyée par le MABD, association de développement de la biodynamie. A ses côtés, Florence Subrin-Dodille, a également repris le domaine familial du Crêt de la Bine, en bio depuis 15 ans et en biodynamie depuis 2017. « Son axe un peu ésotérique a aidé mon père à progresser en culture biologique ». Ses gamay illustrent la tradition lyonnaise, « on débouche une bouteille et on sort le salé », mais aussi l’existence de vins de gastronomie sur des cuvées de vieilles vignes aux notes de cuir et d’épices, et sur un blanc frais et fin issu de sables granitiques. Elle adhère au syndicat Vin Méthode Nature « pour soutenir une démarche qui vise à cadrer un terme pour le consommateur ».

En agriculture biologique depuis 30 ans, biodynamie sur 30 ha et maintenant en Vin Méthode Nature pour son sans sulfites ajoutés « Au petit Jour », Albéric Philipon n’a rien non plus d’un farfelu. Son trio en mourvèdre-carignan-cinsault respire les Coteaux varois et Côtes de Provence. « Il faut du temps pour passer à la biodynamie, car il y a beaucoup de choses à intégrer. Ça se mûrit ». Les vins ne sont pas forcément meilleurs, « mais ce sont ceux, pour moi, qui procurent le plus d’émotions ». Des vins vibrants, et des biodynamistes heureux se rejoignent dans ce sentiment, à l’instar de Laurence Heitzmann, sur son domaine alsacien.

Un monde biologique au cœur de l’audace

Le président des Vignerons bio de la Nouvelle Aquitaine, Laurent Cassy (Château Chillac) est également présent sur Millésime Bio, aux côtés de Jean-Baptiste Duquesne (Château Cazebonne), tous eux propriétaires près de Langon. Avec eux, c’est un autre Bordeaux, « pirate » qui se lance à l’abordage du salon. Leurs cépages anciens ressurgis, replantés, vieux malbec à queue rouge à Morizès, castets et saint-macaire, bouchalès, jurançon noir et autre mancin (dit rubis d’issan aussi) « comme en 1900 » à Saint-Pierre-de-Mons visent à réveiller leurs terroirs. En bio, sans sulfites ajoutés, avec ces cépages mieux adaptés aux conditions d’élaboration actuelles, ils attirent les jeunes vers la vigne, les incitent à créer des circuits commerciaux indépendants, cassent volontiers les codes … et les goûts. Vins orange, pétillants naturels de cabernet-franc, ils osent tout.

Mais « travailler sans sulfites ajoutés, c’est comme surveiller le lait sur le feu » raconte Albéric Philipon. D’une grande précision, avec une qualité irréprochable de la vendange, sans prise d’air en cave dans les déplacements du vin, il nécessite de multiplier les dégustations et les suivis analytiques pour ne pas s’exposer aux déviances, ces goûts de souris ou d’écurie, de pomme ou de cacahuète, jusqu’au risque de piqûre acétique, qui fait virer le vin en vinaigre. L’exercice est périlleux, le risque grand de perdre une cuve.

Saskia Leal Keijer s’applique elle aussi à s’exempter de déviances par une surveillance constante, des suivis analytiques couteux qu’elle peut « se permettre sur un domaine de 20 ha ». Adhérente au syndicat de défense des vins nature, elle prouve au Château Boucarut, demeure du XVIIIe siècle à Roquemaure, que l’on peut conjuguer patrimoine, sagesse et renouveau. Des cuvées faiblement sulfitées accompagnent un rosé de mourvèdre sans sulfites en aoc Lirac, une appellation qu’elle aprticipe à faire évoluer au sein d’un groupe de jeunes vignerons.

Aller toujours plus loin

Le mérite est grand de repousser les limites, faire bouger les lignes. Derrière l’air du temps ou de cercles parisiens, des hommes et des femmes essaient, tâtonnent, avancent, partout en France pour que nous buvions une boisson la plus saine possible, selon l’expression de Louis Pasteur. L’empreinte de leurs mains élève le raisin et le vin. Ainsi, les languedociens, pionniers en la matière, présentent-il en une belle cohérence des vins rouges denses, puissants, des blancs de plus en plus subtils progressant encore.
Ces vigneronnes ont choisi le salon Millésime Bio, dans lequel ils viennent depuis plusieurs années ou qu’ils découvrent. Ils endossent des responsabilités syndicales, adhèrent à des mouvements de tous horizons. Ils portent sur la scène internationale, leurs terroirs chevillés au cœur, une culture multiple, qualitative, de plus en plus riche de ses expériences diverses, audacieuse, créatrice de valeurs, d’un monde vert couleur d’espoir. Le vin, en vie.

Une synthèse de cet article et de la seconde partie a paru sur Le Point.fr le 15/03/20021:
https://www.lepoint.fr/vin/vins-a-montpellier-de-bio-lendemains-15-03-2022-2468260_581.php

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