A Estelle, ardente défenderesse de nos terroirs

 

Y croire encore ?

Écrire encore, aujourd’hui, sur les vins et ses patrimoines ? Depuis plusieurs mois, cette interrogation occupe la pensée. Comment continuer à chercher, l’esprit libre, des initiatives louables, des vins exprimant un lieu, une vision, un terroir, quand la viticulture et l’agriculture en général traversent une des périodes les plus sombres de leur histoire ? Les vignerons désespèrent des maux qui s’enchainent, entre gel printanier, crise sanitaire, attaques de maladies et autres fléaux. Entrée dans une ère « anthropocène », dominée par l’homme, la planète ne supporte plus le poids de notre fonctionnement, l’intensivité de nos prélèvements.

Un constat désolant

Vue du Languedoc, l’observation dresse un impitoyable constat. Hausse globale des températures, dépérissement de cépages, aléas météorologiques de plus en plus violents, raréfaction de l’eau s’accélèrent. Un climat d’Afrique du Nord nous est prédit à l’horizon 2050. Aussi, les dérèglements climatiques menacent-ils l’existence même des terroirs actuels, déjà gangrénés par la pression foncière, jointe à une difficile transmission des terres. Alors qu’ils auraient pu célébrer la réussite d’une mutation qualitative sans égal depuis quarante ans, voici les vignerons remettant l’ouvrage sur le métier. Pas de relâche pour les braves, dans la quête pour récolter les fruits d’une terre malmenée. Mais une si grande lassitude chez beaucoup, sourde, indicible, dans ce cruel millésime 2021. Combien d’entre eux nous ont quitté brutalement cette année ? Et l’impensable survenu, le cancer qui vainc Estelle Salles, preuse chevalière, après cinq ans de haute lutte sur le sort ?
Alors, parler de son petit domaine, répéter les gestes et les mots ne revêt pas la même dimension. L’essentiel est ailleurs. C’est dit.

Oser, encore

La plus douce victoire sur l’adversité restera, pour nous, en 2021, la réduction drastique des produits de synthèse dans nos traitements (deux avec du soufre, un avec du sulfate de cuivre) au profit des plantes. Au fil des ans, l’expérience autorise l’audace, parmi de nouvelles propositions qui se multiplient. Huiles essentielles – à utiliser avec parcimonie pour ne pas brûler le feuillage-, homéopathie viennent compléter la préparation d’infusions ou de décoctions. Une « naturopathie » s’applique aussi bien à la vigne qu’à l’homme, renforçant ses défenses. Mais elle concrétise également un rapport différent au vivant, au monde végétal et animal qui nous entoure.

Des vendanges forcées

Signe des dérèglements des cycles naturels, les vendanges ont débuté, trop tôt bien sûr, le 14 août. Une de nos parcelles a été attaquée par les étourneaux qui essaiment le littoral. Du jamais vu mi-août, sur des raisins à peine mûrs. Aussi, avons-nous récolté dans l’urgence des grappes sauvées de leur assaut. Les raisins ont été mis en cuve grappe entière sans pressurage encore. Une fermentation intracellulaire des grains agit pour éviter des tanins verts, et surtout développer les arômes du précieux muscat.

Nous tremblerons encore jusque début octobre, scrutant le ciel, ses nuages ou ses vols d’oiseaux. Nous croiserons les doigts à la moindre pluie, à la moindre direction contraire prise par les vents. Pour l’instant, les grappes se gorgent du soleil d’août, ignorantes comme nous-mêmes de ce qui les attend.
Le poète sétois Paul Valéry l’écrivait justement : « Le vent se lève … il faut tenter de vivre ! ». 2021 sera peut-être alors un très beau millésime, oublieux de la dureté du temps.

Pour info: Rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) du 9 août 2021
https://reporterre.net/Les-scientifiques-du-GIEC-Le-changement-climatique-s-accelere-et-s-intensifie

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