Photo: Près de Montpeyroux, Florence Monferran

1ère Partie:  Des vignobles en héritage

Délaissant les rivages livrés au repos des vacanciers, le relief s’élève doucement, surplombant la mer. Puis les routes sinuent et s’escarpent. Le Massif central vient s’échouer là, à quelques encablures de la Méditerranée, en un hommage tourmenté. Il dépose en offrande une combinaison de roches, de microclimats et de vents au milieu d’altitudes … toutes relatives. Il lègue des cirques naturels et gorges classés en plusieurs grands sites de France, des monts et pics vertigineux. Du chaos géologique apprivoisé par l’homme sont nées des garrigues et des vignes qui y prospèrent depuis l’Antiquité.
Une ligne se dessine, d’ouest en est, du Minervois aux Cévennes, entre la rivière Orb dans sa haute vallée et les gorges de l’Hérault. Comme le dégustateur pratique verticales et  horizontales de vins, voici une transversale de vignobles de cet arrière-pays où retentit un renouveau viticole désormais encensé. Après un demi-siècle d’efforts, la reconquête patiente de ses terroirs ancestraux, de ses cépages, une pratique biologique pionnière préservent tant cet environnement hors normes qu’une qualité à son sommet.

Une histoire pluriséculaire

Le Languedoc est entré dans l’histoire sous la plume des auteurs grecs et romains. Rome y installe un vignoble de rapport, très vite prospère. Trait d’union entre mer et montagne, l’arrière-pays bénéficie de routes commerciales reliées à la Via domitia, axe majeur de communication, pour exporter vers tout l’Empire.
Autres faiseurs de terroirs, au Haut Moyen-Age les ordres monastiques conservent les savoirs antiques. ils passent maîtres dans l’art de choisir les meilleurs emplacements pour implanter la vigne. Une histoire naît à l’Abbaye d’Aniane ou à celle de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) pétrie d’art roman, de vins d’hospitalité et  d’une spiritualité liée aux grands chemins de pèlerinage.
A la fois présente partout et secondaire à la culture vitale des grains, la vigne est attestée dans les cartulaires et les premiers compoix (registres fiscaux). Quelques domaines, comme Rieussec La Croix Deltort à Gignac, y figurent déjà. Une réputation de grands vins blancs, clairettes et muscats en tête, porte la renommée du Languedoc à travers le pays et les cours européennes. La bourgeoisie émergente au XVIIIe siècle est prise d’une « fureur de planter » malgré les interdictions royales. Celle-ci se concrétise avec la Révolution industrielle, par l’installation d’une monoculture de masse, en vin rouge de piètre qualité. Les terroirs de coteaux s’effacent au profit des plaines fertiles.
Pourtant un chemin qualitatif tisse sa toile après 1945, concrétisé par la création des VDQS (vin délimité de qualité supérieure) puis les premières AOC. Faugères et Saint-Chinian célèbrent aujourd’hui les 40 ans de leur appellation, née avant même la création de l’AOC Coteaux du Languedoc (1985). En parallèle, dans des marchés structurés, l’organisation des Vins de Pays d’Oc (1987) donne une souplesse et une liberté dans l’élaboration des vins.
Des vignerons ne cessent d’explorer ces terroirs plus en altitude mis en sommeil un temps. Une génération est née dans les années 1990, dans le sillon tracé par Aimé Guibert à Daumas Gassac, avec Olivier Jullien, Laurent Vaillé, Marlène Soria, puis Sylvain Fadat. Une génération de fortes personnalités, avec Michel Escande ou Michel Louison. Aujourd’hui, marchent dans leurs pas de nouveaux arrivants, à l’instar d’Olivier Faucon à Saint-Jean-de-Fos. Ils distinguent dans leurs cuvées, leurs sols, leurs cépages, leurs lieux-dits, amoureux fous du terroir qui leur a ouvert les bras.

Des terres imprégnées par la garrigue et les pierres

On entre dans l’arrière-pays héraultais dans un monde minéral habité. La garrigue a cédé du terrain aux vignobles qu’elle imprègne de ses arômes jusque dans les vins. Cade et thym, genêt et arbousier, fenouil distillent leurs notes puissantes, au milieu des oliviers, pistachiers, et cistes cotonneux. Les cigales y règnent l’été jusqu’à l’assourdissement. Les chênes verts et kermès, pins et châtaigniers abritent le gibier, que survolent busard cendré et aigle de Bonelli, protégés. Au plus septentrional, l’arrière-pays se couvre de massifs forestiers impénétrables ou de paysages calcaires arides. Grottes et dolmens, sites préhistoriques majeurs s’y dérobent au regard. La pierre brute, sauvage, cohabite avec la pierre sèche née de la main nue de l’homme, patrimoine agricole de capitelles, mazets et murets pour s’abriter, ranger les outils, retenir la terre des terrasses, les restanques et les bancels.
Depuis l’Antiquité, les vignobles se sont accrochés avec entêtement à cette terre. Schistes, calcaires, argiles rouges (ruffes) et coulées de basalte, grés et galets roulés, éboulis cailloutis très drainants qui guident l’eau dans le sol… Nous révisons une géologie à ciel ouvert, composée depuis des millions d’années. Le climat, dominé par des amplitudes thermiques entre hiver et été, entre jour et nuit, assure une maturation plus lente des raisins. Les vents, descendus du Tarn et du Larzac, balaient l’arrière-pays, comme au col d’Arboras, « le col du vent » célébré par le poète Georges Drano. Parfois, un micro-climat créé, comme à Roquebrun près de Saint-Chinian, havre de vignes et de douceur au bord de l’Orb.

Une transversale vertigineuse

Le vignoble s’étire autour de Minerve, cité cathare martyre surgie d’une gorge. Il prospère sur ses hauteurs sauvages pour mieux descendre jusqu’à Saint-Chinian entre falaises calcaires du Caroux et schistes. Ces derniers offrent à Faugères un vignoble en collines arrondies, étendue sans partage, la mer en point de mire lointain.
Le Pas de l’Escalette marque le passage entre Larzac et Méditerranée. Ici se façonnent, dans une alchimie entre altitude, calcaire et eau drainée, les parcelles de vignes étagées des plateaux. « Quand on arrive chez nous au Printemps, le sol rouge vif, les vignes vertes, le grand ciel bleu, le genêt frappent l’œil» décrit Krystel Brot, au Clos Rouge. Baptisé en Terrasses du Larzac, courant sur 32 communes, le vignoble connaît un véritable engouement.
Entre Saint-Saturnin-de-Lucian, Montpeyroux (tous deux en appellation communale), Jonquières et Lagamas, un carré magique concentre sur quelques kilomètres à peine terroirs de toute beauté et vignerons virtuoses.
Des gorges de l’Hérault jaillit Aniane, où s’installa le plus célèbre des néo-vignerons du Languedoc, Aimé Guibert. En fondant le Mas de Daumas-Gassac, au milieu de la forêt et de la garrigue, il crée un choc qualitatif. Plus au sud, en sa moyenne Vallée, l’Hérault s’élargit. Dominé par le Pic de Vissou, un autre de ses plus vénérables terroirs s’y love, abritant l’antique clairette. Charles Pacaud (Domaine de la Croix Chaptal) qui a sauvé sa déclinaison rose par une sélection massale, ainsi que la cave d’Adissan la préservent. Le terroir grandit aujourd’hui en réputation par ses rosés, de Fontès à Cabrières, jusqu’au Clos du Temple.
Poursuivant la traversée, le périple touche les confins du Gard. C’est avec précaution que nous mentionnerons la vallée de la Buèges, tant les vignobles agrippés aux coteaux pentus,  semblent protégés des désordres humains.
Descendant vers Montpellier, se dresse sur la route de Ganges un dernier relief, phare altier au milieu des garrigues : le Pic Saint Loup. De terres de patûrages, des vignerons ont tiré une âme et des expressions puissantes. Sous l’impulsion d’un Jean Orliac et d’un Château Cazeneuve, des Frères Ravaille, sous le regard du peintre Vincent Bioulès, ses lumières sans cesse changeantes dépeintes par Vincent Bioulès ont éclairé un monde viticole recomposé.

Aujourd’hui, sans complexe, l’arrière-pays de l’Hérault offre ce qu’il a de meilleur, des vins denses, structurés, des arômes surprenants, exaltés par différentes cultures biologiques, des vins pour durer.

Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 18 juillet 2022: https://www.lepoint.fr/vin/l-arriere-pays-de-l-herault-vivier-d-une-reconquete-viticole-18-07-2022-2483630_581.php

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