C’est un voyage dans le temps, aux racines du vin, que propose Be ranci ! Salon des rancios secs et Rencontres européennes des vins oxydatifs secs couplés sur une journée, le 28 octobre à Perpignan. 70 producteurs, 7 pays, 26 zones de production réunis pour découvrir des vins d’ici et d’au-delà, des vins de 50 ans, 80 ans, 100 ans… des vins sans âge aux cent visages.
Des barriques oubliées, sorties de la cave ou du grenier, témoignent d’une pratique ancestrale, fondée sur un élevage en milieu oxydatif, c’est-à-dire en contact prolongé avec l’air. Pour braver les ans, les raisins sont récoltés très mûrs, avec un degré élevé (16° au moins). Des moûts mis de côté, souvent près des fûts de vins doux, finissent par devenir des rancios secs : tout le sucre s’est transformé en alcool au bout d’au moins cinq ans. Les vins évoluent vers des goûts de noix verte un peu rances, d’où le nom de rancio, mais aussi des notes épicées, de fruits confits ou séchés, réglisse, sous-bois, café, enfouis dans leur robe dorée, tuilée ou ambrée.
Les fûts de rancio sec servaient uniquement à l’usage de la famille. On y puisait de quoi remplir une bouteille pour élaborer les sauces en cuisine, et pour la consommation personnelle. « Vin de fainéant » plaisante un vigneron. Le fût était laissé là, remis à niveau les années suivantes ou pas (non ouillé), parfois oublié, comme ce muscat à petits grains de 2000, retrouvé et mis en bouteille en 2017 à la cantina Argiolas (Sardaigne).
Depuis une dizaine d’années, la pratique tombée en désuétude est remise à l’honneur par un groupe de vignerons, écrivains, historiens, et les rancios secs sortent de l’ombre, dégustés en apéritif, vin de repas ou après le dessert. Ils nous plongent au cœur d’une culture, nous renvoient à la surmaturation antique sur le pourtour de la Méditerranée, à l’omniprésence des cépages autochtones, grenache (blanc, gris ou noir) et maccabeu ici, à une gastronomie. Culture du bien manger, de produits locaux, ils sont associés de tous temps aux anchois salés, sardines fumées de la pêche catalane, au jambon sec ou la vieille tome du lieu.
Dans la famille des vins oxydatifs, les rancios secs partagent ces pratiques avec de nombreux cousins. Le salon Be ranci ! en témoigne largement, à travers des terroirs, en altitude ou maritimes, et une profusion de cépages aux noms chantant leur région d’implantation : savagnin du Jura ou mauzac du Tarn, gros manseng gersois, chenin et cabernet-franc (R) de Loire, et plus loin, graciano (R) de la Mancha et monastrell (mourvèdre, R) d’Alicante, goustoledi et pavlos grec, nasco de Sardaigne, grillo, cataratto ou pignatello (R) de Sicile, palomino de Jerez présenté en pétillant.
Vins de patience, véritable éloge de la lenteur, ces vins oxydatifs nous proposent une remontée vertigineuse dans le temps. Les années sont rarement millésimées. Le plus souvent, les fûts rafraîchis, en solera, bénéficient de l’apport des années suivantes. « Le vieux éduque le jeune » explique Vincent Cantié, du Domaine de la Tour Vieille à Collioure. Ils côtoient des vins de voile, lorsque des levures forment une barrière protectrice des contacts ave l’oxygène. Toutes ces options d’élevage nous renvoient à une chaîne de transmission qui se perd dans le temps. Si les premières années d’élevage récent sont connues, les références aux grands-parents fréquentes, les plus anciens rancios n’ont plus d’âge, sans datation d’aïeux disparus.
Vins d’émotion, ils respirent leurs gestes, leur souffle, entretiennent leur mémoire vivante. Les vins oxydatifs ont-ils donc une âme ?
Les cuvées parlent pour eux : l’Ancêtre, Mémoire d’Automnes, Uva de vida, L’oublié, Au fil du temps… Vins perpétuels, ils défient le temps dans un mouvement que le poète Louis Aragon n’aurait pas démenti. Ils nous plongent dans leurs patrimoines comme dans un bain de jouvence, où les références à la mythologie des rivages méditerranéens, nymphes et Bacchantes, Dryades et Évoé du Domaine des Demoiselles, côtoient le KinaCoutElou de J.F. Coutelou, retour aux vermouths, qui ont marqué un siècle d’histoire viticole.
Vins d’exception, il n’en subsiste que de petites quantités, volées à l’évaporation d’alcool. La part des anges doit faire des heureux dans les cieux ! Environ 5 000 bouteilles de 50 cl sont produites annuellement dans le Roussillon. Si le marché se cantonne à une niche, compte tenu des volumes, les rancios secs se sont constitués en IGP rancio sec (Côtes catalanes et Côte vermeille) en 2012. Ils entreprennent en 2020 des démarches en vue de l’obtention d’une dénomination (IGP ou AOP) transfrontalière, commune avec la Catalogne.
L’association Be ranci ! accompagne et démontre le retour tout en finesse des vins oxydatifs secs sur le devant de la scène, auprès d’amateurs de vin … et de cigares. Ces vins entrent à nouveau dans l’air du temps, avec leur absence de sucres résiduels, leur belle couleur, intense. Les méthodes d’élaboration, loin des sulfites ajoutés en question de nos jours, une conduite à la vigne biologique, voire biodynamique très présente sur le salon (Sardaigne, Vins nature de Philippe Chatillon, d’Uva de vida ou Jeff Coutelou) accroissent l’intérêt qui leur est porté. Et, entrant dans le salon, c’est un plaisir de voir placées là trois jeunes vigneronnes. Mireille Ribière, du Domaine Ferrer-Ribière et du domaine du lendemain, en biodynamie, Kilya Raoux, 19 ans, qui se forme au Domaine des Demoiselles, tenu depuis plusieurs générations par des femmes, Elodie, qui a repris avec son compagnon le Domaine Fontanel à Tautavel en 2016 incarnent renouveau de la profession et transmission patrimoniale.
De l’ancien entrepôt rénové et transfiguré en Galerie d’art, où les vins conversent avec les œuvres de Marcos Carrasquer et Rosa Loy, montent des arômes mêlés, diffus, complexes. Les notes oxydatives douces-amères, de caramel, tabac, noisette, orange confite, curry ou fenugrec arrivent par vagues en nez et dans les palais, remémorant souvenirs d’enfance, de voyages. Nous sommes, à cent mètres du centre du monde de Salvador Dali, au cœur d’une culture du vin méditerranéenne élargie, accueillante, au cœur de nos racines viticoles.
Le temps ….
Le temps de l’écrire .
L’orfèvrerie alphabétique.
Je n’avais rien prévu, pas d’article en vue, et puis ces vins m’ont emportée avec eux.