« Je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L’autre bout est dans mon coeur ». Mise en exergue des célébrations de la ville, cette phrase du poète sétois Paul Valéry a donné le la d’une fête patrimoniale, culturelle, populaire, affective autour des 350 ans du port.

Charles de Tubeuf, Intendant du Languedoc chargé d’organiser les festivités de la pose de la première pierre du môle Saint Louis.

Aujourd’hui, jeudi 29 juillet 1666, la première pierre du futur port vient d’être posée par l’intendant de la province avec beaucoup de solennité et d’éclat. Une médaille en or y est incrustée, ornée d’un buste de Louis XIV, portant au revers la mer, la terre coupée par un canal et un port. Alors que les travaux du canal (du Midi) sont déjà engagés depuis environ quinze mois, la foule s’est pressée en nombre, affluant de la grande foire de Beaucaire. De très jolis pavillons ornés d’inscriptions, de chiffres et d’emblèmes sont dressés en charpente sur les bords du canal commencé pour les personnalités venues elles aussi en très grand nombre sur les lieux. Parmi ces pavillons éphémères, une chapelle dédiée à Saint-Louis accueille la messe, célébrée par l’Evêque de Montpellier. Une fois la pierre posée au bruit de l’artillerie, des fanfares, et d’une grande musique, vient l’heure des banquets, joutes, danses et autres divertissements.
Ainsi est né le port de Sète. Jean-Mathieu Grangent, ingénieur du port et Maire de Sète, le relate plus d’un siècle plus tard, d’après les récits des témoins[1]. François Commeinhes, Sénateur-Maire actuel, ajoute : « Louis XIV avait monté toute une scène de théâtre avec des peintures qui représentaient la ville, du commerce de l’artisanat, tout pour faire venir de grands négociants, entrepreneurs, de toute la France. »

 Le port de Sète, entre la pose de la première pierre en 1666 et la fin des travaux en 1682. Djinn et Christophe Naigeon, « Sète 1966 » (Foxtrot éditeur)

Un port jailli entre terre et eau, au milieu de nulle part, si ce n’est quelques cabanes de pêcheurs, sur un mont boisé et sauvage, encore peu défriché. Né de la volonté d’un roi, Louis XIV, et de grands bâtisseurs, à l’instar de son ministre Colbert et de Pierre-Paul Riquet il est conçu pour sortir le Languedoc de son isolement. Puis une ville se construit autour de ce port, grâce aux privilèges et immunités du même Louis XIV en 1673. Tous les moyens de transport convergent ensuite vers lui. A peine fini, il exporte les vins du Languedoc, les plus grands, les plus fins, qui affluent ensuite par le Canal du Midi ou le grand chemin royal depuis Montpellier à travers l’Europe, à tel point que la viticulture devient pour la province « un véritable Pérou » en moins de cent ans. La cité se forge au fil des siècles une identité singulière, cette presqu’insularité captée par Paul Valéry.
Ouverte sur la Méditerranée, elle brasse des vagues de migrations, chevilles ouvrières autour du port, de la pêche, du commerce des vins et de la tonnellerie, invente une gastronomie, un parler, des accents poétiques, picturaux, théâtraux, mélodieux, cinématographiques, brasse des cultures, des élites aux plus populaires.

« La commémoration évoque la pose de la première pierre du port de Sète, à l’origine de la création de la ville. Ce qui a permis son développement, c’est l’afflux de population venant de tout le pourtour de la Méditerranée. 350 ans après, cela valait la peine de montrer que nous étions particulièrement attentifs à nos origines, et tournés vers l’avenir. On ne peut pas bien envisager son avenir si on ne comprend pas bien ses racines. Ces brassages de population ont amené une culture particulièrement riche, particulièrement plurielle et foisonnante. » – François Commeinhes


 

 

 

 

 

 

 

Pour commémorer ces 350 ans, un programme bouillonnant d’initiatives entre mémoire, fête populaire et création artistique a pris corps tout au long de l’année, d’Escale à Sète en mars, jusqu’aux échanges proposés par l’association FiloMer. II trouve son point d’orgue dans une journée bien particulière organisée par la municipalité le 29 juillet. Les manifestations, en leur multitude, expriment la transmission d’un patrimoine, sa transcription à l’adresse des Sétois et des touristes, « l’œil dans le rétroviseur sans jamais cesser de penser au futur ».

Sète se souvient.
Une transcription mémorielle ouvre la journée, avec l’inauguration par François Commeinhes de la visite phare Saint-Louis, premier en Méditerranée à s’offrir aux regards d’un public venu nombreux, avide et impatient de monter les 116 marches jusqu’au sommet, 34 mètres plus haut, pour un panorama inédit. Une mémoire vivante prend place, provisoirement à l’intérieur de la Mairie, pour  la présentation de l’exposition de la SEHSSR, « 1666- 2016, de Cette à Sète, 350 d’histoire et de vie » qui déploie dès le 2 août sur la Place Léon-Blum sa fresque géante de 66 mètres de long. Déjà présentée lors d’Escale à Sète, où elle a accueilli plus de 12.000 visiteurs, elle voyagera ensuite tout autour du Bassin de Thau.

La transcription à l’adresse des publics est également artistique. Comment ne pas inscrire la ville dans cette identité culturelle qui l’a construite ? Aux grands noms du passé, répondent des artistes actuels. Ainsi Emmanuel Flipo, plasticien connu pour ses oeuvres géantes et éphémères, réalise-t-il une performance sur le brise-lames,  où il imagine une carte géographique  sur le sol. Ainsi, le groupe vocal Gli Amici, interprète-t-il Place Aristide-Briand des chants lyriques, sous la direction de Jean-Michel Ballester.
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Sète crée et recrée autour de ses racines culturelles.
Sète et son passé en fête, comme un bouquet final, concentre tous ses visages en une célébration populaire, avec l’incontournable tournoi de joutes, reproduisant depuis 350 ans la première passe devant Louis XIV.­
Loïc Cerrato brandit le trophée symbolique, mais non moins prestigieux, en sortant vainqueur de la lutte contre son co-sociétaire à la Lance Amicale Sétoise, Simon Caselli.
Clou de la fête populaire, le spectacle Port d’attache du réputé groupe F sur le plan d’eau du palais consulaire emporte la foule. Son, musique, images géantes, personnages lumineux, effets pyrotechniques, les nouvelles technologies mêlent terre et eau, poésie de l’écriture pour offrir un spectacle léger et féerique. Sur les façades du palais consulaire, musique et lumières éclairent 350 ans d’histoire au-delà de la simple rétrospective.
Nous sommes le vendredi 29 juillet 2016. Sous les hommages, une pierre frémit. Elle porte en elle, incrustée, une médaille, figurant le buste de louis XIV et, au revers la mer, la terre coupée par un canal et un port. Elle contemple le port agrandi, la ville et les canaux creusés, l’agitation des activités de pêche, de commerce ou la nonchalance des plaisanciers croisiéristes. De son fondement, la ville en sa splendeur vient de poser son regard sur le passé qui l’a enfantée. Un regard qui court toujours, vers l’horizon.

Article paru le 29 juillet 2016

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