C’est la réédition d’un ouvrage épuisé qui nous a conduit à la librairie Le Grain des mots à Montpellier, mué pour un soir en grain de raisin et gros grain de colère. N’i a pro ! (ça suffit !) criaient les vignerons occitans.

La mémoire ressurgie des luttes viticoles

A  l’invitation de l’association In vino very Jazz, Laurent Cavalié et Marie Coumes, figures de la scène musicale occitane, venaient interpréter leur spectacle, d’où est issu l’ouvrage. Poésie, humour se mêlent pour retracer les luttes des années 1960 et 1970 qui ont marqué le Languedoc, jusqu’à l’épisode tragique de Montredon (mars 1976). Mais « Les morts de Montredon éclipsèrent aux yeux de tous la grandeur et la valeur de cette lutte, qui petit à petit, faute de transmission, est en train de s’effacer des mémoires. Il est urgent de raconter de nouveau cette histoire populaire de courage collectif, de colère et de solidarité. »

Laurent et Marie ont recueilli la mémoire de témoins, les anciens des Comités d’Action Viticole (CAV). Jean Vialade et André Cazes, André Castéra ou leur troubadour, Claude Marti se racontent dans leur langue, d’Oc. Les mots chantent et virevoltent, la lutte devient conte (ah ! le bateau tiré par une limousine bloquée dans les Corbières !). Ils incarnent le Volem viure al pais (nous voulons vivre au pays) de ces générations réduites à la misère et l’exode.  Le début des arrachages de la vigne sévit, dans une économie de monoculture sans autre avenir promis que de devenir « le bronze-cul de l’Europe ».Comme dans une veillée, le public silencieux se penche sur eux. Il faut louer le travail de collecte des deux artistes, la justesse et la fièvre des témoignages retranscrits, le choix des séquences.

Une résonance actuelle

Quelque chose remonte en nous de cette époque, entre 1961 (création des CAV) et 1976, où la solidarité emportait tout un pays, « un pays sans nom », vignerons et Maires ensemble. En réponse à Olivier Guichard, délégué à l’aménagement du territoire qui pensait que personne ne savait pas situer  le Languedoc sur une carte, tous les panneaux de signalisation routière de l’Aude avaient été enlevés le 30 juillet 1975, veille de chassé-croisé des touristes.

Ces luttes pour leur survie économique, leur culture résonnent aujourd’hui avec une acuité particulière. Une nouvelle vague d’arrachage emporte les fruits de 40 ans de reconversion qualitative, biologique, de diversification des productions. Mais maintenant, le vigneron se retrouve souvent seul face aux aléas du dérèglement climatique, à la difficulté à produire et vivre de son labeur dans une concurrence mondiale des marchés. Ce spectacle, la réédition du livre qui le prolonge et l’incarne, tombent bien à propos sous le feu d’une actualité qui bégaie.

Marie Coumes et Laurent Cavalié

N’i a pro !, Editions du bout de la ville, réédité en mars 2025

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