En une sorte de Wine Week prolongée, le vin fait salon en France chaque début d’année auprès des acheteurs professionnels. Les allées bruissent d’affaires, indicatrices de la santé économique et révélatrices de transformations profondes. Des engouements font également jour, dont on ne sait encore si, dans l’air du temps, ils en traverseront l’épreuve. En pleine mue de ses modes d’élaboration comme de consommation, le vin vit des secousses majeures qui renversent ses bases, bouleversent ses acquis, interrogent sa géographie. Trois directions surgissantes m’ont interpellée à Wine Paris & Vinexpo, salon international tenu du 12 au 14 février, et dans ses manifestations satellites.
Bien sûr, le No/Low, vin désalcoolisé, fait irruption tambour battant, occupant tous les esprits. Il tient même salon avec Degré Zéro, au Musée du Vin de Paris. En second lieu, la notion de terroir, accrochée culturellement à une origine géographique délimitée, brise ses frontières avec les vins volcaniques, qu’un label reconnaîtra à travers le monde. Alors que notre vieux continent longtemps dominant vacille dans ses certitudes, des pays frappent à notre porte, leur production de vin en ambassadrice, pour intégrer l’Union Européenne (Ukraine, Géorgie, Moldavie, Balkans).
Ces trois volets d’une réalité en mouvement traduisent de nouvelles expressions du vin mondialisé. Comme l’affichait Modérato, entreprise spécialisée dans le zéro degré, « le vin fait sa révolution » ?
Avec le No/Low, le vin dans ses dernières extrémités
L’alcool est un composant-clé du vin, sa colonne vertébrale. Y toucher, c’est perdre des composés actifs, et modifier sa qualité sensorielle. Pourtant, ce qui semblait au début marginal, un vin désalcoolisé se mue après les confinements (et beaucoup d’abus) en une demande croissante de consommateurs. La législation en fixe depuis décembre 2021 le taux d’alcool à 0% ou moins de 0,5%. Sa consommation a bien évolué, de l’abstinence vers une recherche de modération. Jérôme Cuny, qui a fondé La Cave parallèle à Nantes uniquement sur du sans alcool, le confirme. 80% de ses clients sont occasionnels. Pour ce qui concerne les plus jeunes, on peut parler de mouvement générationnel. Une partie d’entre eux ne veut pas consommer de l’alcool, associé à un danger (d’image sur les réseaux, de sécurité surtout pour les jeunes femmes et les urbains, de santé).
Le vin prend l’aspiration de la bière, qui a montré la voie du zéro degré.Pour conserver un côté festif, une bouteille, une flûte servie dans les cocktails, une carte spécifique au restaurant donnent l’illusion du flacon sans en avoir l’ivresse.
Des vignerons sur le pont
Sur le versant producteur, une volonté de se démarquer, d’innover ou de répondre à la crise viticole conduit des vignerons à les intégrer, à côté de leurs vins. Une demande et une offre en hausse créent le marché. Petit à petit, les techniques sous vide et à basse température, qui permettent de récupérer les arômes après distillation, se répandent. Quelques lieux sont équipés pour de gros volumes : les pionniers il y a 30 ans dans l’Aude, au Havre, les Bordeaux Families en Gironde, et surtout en Belgique, Espagne et Allemagne.
Tous les cépages ne se prêtent pas à l’épreuve de la désalcoolisation. Sans doute parce que sauvignon et chenin passent mieux le process, les vins blancs et pétillants en général, c’est dans l’Ouest de la France, en particulier les pays de Loire, que l’offre s’est structurée.
Au salon Degré Zéro de Break Events Group, leur dégustation surprend. De l’acidité, de la finesse, comme au Domaine de la Grenaudière en muscadet et chez Divin (Domaine de Villebois) sur sauvignon blanc et chenin de Loire et Sancerre. Ils pratiquent même des élevages en barrique avant distillation. De la même manière, le Château de la Coste en rosé de Provence élabore sa cuvée Nooooh à côté de ses vins réputés. Trois ans de recherche, d’essais, d’assemblages pour parvenir à un équilibre aromatique, et entre sucrosité, très présente, et acidité.
Mais quelques ombres subsistent au tableau. Le surcoût
de ces vins, doublé à la production, se répercute sur la bouteille. Leur stabilité microbienne est posée par les chercheurs, comme Maria Lisanti de l’Université de Naples, compte tenu des ajouts après distillation. Quant au coût environnemental, il risque d’‘être non négligeable entre process de distillation, envoi chez de prestataires, usage intensif d’eau pour « pousser » l’alcool et électricité.
Des alternatives naturelles
Une autre alternative, naturelle, s’affiche à côté des vins. Il s’agit des boissons fermentées non alcoolisées, à l’instar des kombutchas et kéfirs. L’atelier du Ferment, dans la Mayenne, fait découvrir ces derniers, composés d’eau, de sucre (quasiment consommé pendant la fermentation), fruit sec et agrume. Originaire du Caucase, transmise oralement, la recette est gourmande, mais source de bienfaits, riche en probiotiques. L’Atelier, labellisé bio, exporte en Afrique du Nord, Suisse et Asie.
Nicolas Verstraete nous emporte loin, au Japon entre autres, avec Nivers. Il assemble patiemment près de Lyon en de savants dosages grands crus de thés et macérations de plantes, fruits et fleurs. Reproduisant mentalement des profils du vin connus, il propose des accords subtils, complexes, à des restaurants gastronomiques et étoilés.
Des vins partiellement désalcoolisés, plus légers
En parallèle au No / Low, la désalcoolisation partielle, corrective de degrés trop élevés, fait ses preuves dans les tests des chercheurs. Elle produit ses meilleurs effets en abaissant le volume initial, de deux degrés jusqu’à 20 %. Les consommateurs penchent de toute façon vers des vins, notamment rouges, plus légers. Revenus au goût du jour avec les glouglous nature, les voici qui fleurissent, à l’instar d’un Chouchou chez le négociant languedocien Gérard Bertrand.
Pour lutter contre les idées préconçues et la peur de voir nos patrimoines viticoles malmenés, un collectif des vins No/low s’est formé en association, Il fait œuvre de pédagogie auprès des professionnels, de la vigne au verre, des publics comme des institutionnels pour organiser une filière naissante, expliquer, communiquer. D’abord, quel cadre juridique nouveau donner à ces vins surgis de nulle part ? L’OIV ne s’est pas encore prononcée. Le collectif espère une nouvelle règlementation européenne, discutée à Bruxelles, en 2024.
Guillaume de Rosnay poursuit près de Nantes, au Château de Rochefort, l’œuvre de son aïeule. Celle-ci innovait en 1762 en inventant des pressoirs de plus de 10 mètres de long. Lui a été un pionnier du sans alcool avec son blanc pétillant. Car les patrimoines poursuivent leur route, jusque dans les caves voutées du Musée du Vin rénové. Clin d’œil pour rassurer sur leur pérennité, ou avertissement à se remettre encore une question pour ne pas les voir disparaître ? Le lien audacieux était fait à Paris, sous l’œil de la Tour Eiffel.
Cet article a paru dans le magazine Le Point en ligne le 27 février 2024 sous le titre suivant: Le vin à la recherche de nouveaux débouchés:
https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-a-la-recherche-de-nouveaux-debouches-27-02-2024-2553558_581.php
2e partie ici:
https://lesclosdemiege.fr/2024/03/les-mues-du-vin-2-avec-les-vins-volcaniques-une-identite-sans-frontiere
3e partie:
https://lesclosdemiege.fr/2024/02/les-mues-du-vin-1-avec-le-no-low-le-vin-dans-ses-dernieres-extremites