Fin des vendanges aux Clos de Miège
Un dernier coup de sécateur sur une grappe dorée à souhait en muscat à petits grains, un dernier pressurage d’une macération carbonique une dizaine de jours plus tard signent la fin de vendanges tourmentées. Le millésime 2022 s’enfante dans les soubresauts climatiques d’une planète à bout de souffle, que Jean-Luc Godard a désertée.
Chaleur, étourneaux et passerillé ne font pas bon ménage
Peut-on encore parler de vendanges précoces, quand l’exception est devenue la règle depuis une dizaine d’années ? La chaleur intense et continue, à plus de 30° en juillet-Août, a provoqué une évapo-transpiration d’eau intense. Sans compensation par la pluie ou de l’humidité, la vigne souffre. Plus que jamais, le vigneron n’est pas maître du temps. Il faut partir très tôt et récolter très vite, avant des températures accablantes dès 9h du matin. Il faut accepter aussi ne pas aller au bout de la recherche de passerillé. Des pigeons ramiers sauvages arrivent en nombre. Ils grappillent le bas des grappes, se mêlant aux sangliers qui passent les pougnaquer. Les ravages des étourneaux précipitent encore une fois le terme de la récolte. Descendus par nuées sur les souches, ils mangent méthodiquement les raisins. Le déséquilibre entre espèces saute aux yeux.
Aussi avons-nous débuté les vendanges à la même date que l’an dernier, autour du 20 août. En revanche, nous avons terminé dix jours plus tôt, par obligation si nous ne voulions pas voir les derniers tris partir sous le bec de nuées d’oiseaux. L’écart par apport à la fin de ma première vendange, en 2013, est quasiment d’un mois: 11 septembre au lieu du 10 octobre !
Ces dérèglements climatiques, faunistiques influent par ricochet non seulement sur la manière de vinifier, d’élever mais aussi sur le goût même du vin.
Changement de cap au chai
Nous avons opté, pour la seconde année consécutive, pour des macérations carboniques. Les grappes sont conservées entières en cuve, sans pressurage, pendant 10 à 15 jours. Ce choix, motivé par l’état du raisin (peau épaisse, donc peu de jus) se pratique très peu sur les blancs. La méthode, d’origine languedocienne, conserve la qualité du raisin intacte. Elle développe le fruit et la rondeur en adoucissant les tanins présents. Au final, nous espérons aboutir à des vins plus structurés, de plus grande garde.
De la même manière, l’évolution du climat nous incite à changer les méthodes d’élevage en barrique. Après Maurice, en grand contenant d’alcool venu des îles, j’ai reçu Hortense, quintessence de douceur en chêne neuf. Pour me seconder et non plus pour servir de simple contenant, elle rompt avec l’usage ancien à Frontignan de fûts de plusieurs vins. C’est une révolution dictée par la présence d’une microflore (levures et bactéries) vivace en année chaude comme celle-ci. Les tannins du bois neuf, sans contamination, offrent une protection naturelle aux moûts, qui plus est non sulfités.
Le goût du vin, en constante évolution au cours des siècles, se transforme plus vite et avec plus d’évidence sous l’effet de dérèglements climatiques. Les degrés alcooliques augmentent, l’acidité baisse, engendrant des vins plus ronds et plus gras pour l’instant. Nous l’observons aussi aux Clos de Miège.
Une renaissance sauvage ?
A la « révolution numérique, génétique, robotique » prônée par le Président de la République dans son Plan pour l’agriculture, nous préférons une renaissance du vivant. Une renaissance du sauvage ? L’expérience menée sur mes parcelles de vignes depuis neuf ans, de façon empirique, sensible, nous incline en ce sens. Les vignes enherbées ont suscité pas à pas le retour spontané de plantes sauvages (thym, orchidées, latifolia, salades, fenouil…). Une faune menacée de perdrix, faisanes, renardes s’est réfugiée là, un instant ou plus durablement dans des abris. Peu à peu, la vigne reprend place parmi d’autres espèces. L’ère qualifiée d’anthropocène, qui considère comme supérieur à toutes les autres espèces, et puise et épuise toutes les ressources de la terre, n’a plus cours ici.
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Observer le monde sauvage qui nous entoure, y plonger pour travailler, procure une satisfaction, un bien fou pour soi et pour les autres dont j’ignorais tout au départ. « Prendre soin de la nature est aussi une manière de prendre soin de soi » confie Thomas Ferrand, metteur en scène et botaniste [1]. C’est pour moi se reconnecter à d’autres forces, et se reconnecter aux autres.
Ainsi, grâce à la chanteuse Dua Lipa, mais oui ! – partageant avec ses fans une passion pour les vins nature, notamment les muscats secs, j’ai découvert le travail d’Anne-Marie Lavaysse. Au Petit Gimios, à Saint-Jean-de-Minervois, elle pratique une polyculture biodynamique originale. Mêlant la vigne aux herbes et légumes sauvages, accueillant une vache, elle tend vers la limite entre le cultivé et le sauvage. J’y reconnais une audace partagée.
« La renaissance sauvage », tel est le titre d’un ouvrage d’art de Guillaume Logé (PUF, 2019). Pour Caroline Claude-Bronner, guide des patrimoines alsaciens, « l’art sert d’esquisse à ce nouveau projet de société ». L’art et la culture du vin, dans tous ses sens et ses sensualités, toujours, au cœur d’une poétique de l’action revendiquée aux Clos de Miège.
[1] « Redécouvrir les plantes sauvages », France Culture, 24 février 2022
Lexique
Passerillé : raisin surmûri, séché sur pied
Pougnaquer : verbe occitan signifiant triturer, manipuler de manière grossière, ici : abimer
Macération carbonique : macération en vue d’une fermentation à l’intérieur du raisin en grain entier