« Donner du rêve à l’ouvrage »
Photo Claude de Miège
Joël Bast[1]
Les vendanges se succèdent avec leur cortège d’aléas climatiques, en Languedoc comme partout en France. Grêle en 2016, sécheresse et concentration extrême en 2017, pour la plus petite récolte depuis 1945, attaque de mildiou en 2018. Mais rien à voir avec le coup de feu qui s’est abattu sur les vignobles, plus particulièrement de l’Hérault et du Gard, le 28 juin dernier. Feuilles et grappes brûlées, la vigne s’est mise à l’arrêt, comme en hibernation, pour se protéger. Les grains rescapés, à la maturation stoppée un temps, la peau plus épaisse se sont mal développés, occasionnant une perte de jus. Le muscat à petits grains, peu épargné y compris sur ses terroirs historiques, subit mais ne plie pas [2]. Toujours debout, il attend ceux qui ont pu patienter jusqu’à la pluie salvatrice du 10 septembre. En cave, la technique prime sur un tel millésime. Aux virtuoses de jouer leur partition : extraction, macérations, tout est bon pour tirer la quintessence de ce grain qui ne peut donner plus que ce qu’il a emmagasiné en lui.
Nous avons poursuivi quelques tris malgré tout aux Clos de Miège, sans tout laisser aux sangliers assoiffés et pourchassés, qui tombent grappes et souches. Ces passages successifs à la parcelle en vue d’atteindre une maturation optimale n’iront pas jusqu’au passerillage ultime dans de telles conditions. Si l’élaboration de l’Originel de vin naturellement doux suit son cours, Prima Ora n’aura pas de millésime 2019. En revanche, nous travaillons depuis fin août, sur une nouvelle cuvée, festive, pétillante qui mettra des bulles dans nos têtes après quelque mois éprouvants, sans céder à l’adversité. Work in progress.
L’urgence climatique pèse de toute sa réalité sur nos pratiques. Elle s’est invitée cette année à la table des récoltes avec une acuité douloureuse : comment vendanger et vinifier après le feu du ciel ? Elle redistribue les cartes et les rôles : terroirs en question – changer les encépagements, en créer de nouveaux, « résistants », irriguer, sortir du champ des appellations ?-, pratiques à bouleverser pour la protection de la plante contre les dérèglements (changer les expositions, en finir avec l’effeuillage, enherber, complanter, protéger des incendies). La biodynamie notamment porte, au plus près de la nature, les fruits d’un avenir au milieu des incertitudes.
L’urgence climatique épuise les hommes. Etre vigneron en 2019 ? Au-delà d’un parcours du combattant, contre les maladies, la sécheresse, les intempéries violentes, au-delà d’un parcours de foi – croire en son terroir, à la bios (la vie en grec) – c’est jouer désormais tous les ans sa subsistance, sa survie économique.
« J’ai demandé à la lune » et ils sont arrivés, de Frontignan ou de Sète, de Perpignan ou de Lyon, de Grabels, donner un coup de sécateur.
Photo: Catherine
Vendanges du soir, espoir – qui plus est un vendredi 13-, nous sommes partis au soleil couchant cueillir les grains d’or, tambour battant (celui du jeune Lucas). Avec le hautbois, instrument symbolique des traditions occitanes, et le saxophone de Jean Alingrin, résonnent dans les rangs le chant de l’amitié, les rires et les encouragements de Claude de Miège, infatigable vendangeur, élu le meilleur de la colle[3], Bio Man, comme un poisson dans l’eau ici, et Ambre. Leur présence ne dit plus long que des mots.
Dépasser le quotidien aléatoire, oser, toujours. Ne pas cesser de sourire, essuyer les gouttes de sueur et de pluie, donner encore « du rêve à l’ouvrage »
Merci, cher Joël, bel ami, de ces mots qui transforment le feu en flamme créatrice, le brûlument en baume.
[1]Plasticien humaniste (l’expression est de Fabienne Durand, critique d’art), créateur des Présences
[2]Voir l’article Carton rouge, https://lesclosdemiege.fr/2019/07/carton-rouge/
[3]Équipe de vendangeurs
Chanson créée par Catherine après la vendange :
Avez-vous vu passer le grain ?
Le muscat petit grain ?
Moi je l’ai vu, de mains en mains,
Le muscat petit grain !
Au son du hautbois et du tambourin,
Le muscat petit grain !
De l’amitié et de l’entrain,
Le muscat petit grain !
Au clos de miège, le coeur léger
Vive le muscat petit grain !
Lucas avait perdu ses clés,
Vive le muscat petit grain !
Jean claironnait les bienaimé.e.s
Vive le muscat petit grain !
Joel était très concentré,
Comme muscat petit grain !
C’était une belle soirée
Vive le muscat petit grain !
Comme une ronde de fin d’été,
Vive le muscat petit grain !