Les derniers jours avant le début de la récolte, la pluie s’était enfin invitée, après deux mois de forte chaleur et de sécheresse qui marquaient l’été 2015. Doucement, puis violemment en septembre, elle avait contrarié la fin des maturités, jouant avec nos nerfs et nos désirs de surmaturation, nous rappelant à nouveau, si besoin, que le temps joue sa propre partition. Le mistral s’était mis à souffler, précieux allié qui, séchant les grains, ouvrait tous les espoirs pour pousser jusqu’au passerillage les derniers raisins conservés sur pied. Mi-octobre, ils étaient là, offerts, assombris et recroquevillés sur eux-mêmes après s’être gorgés de soleil estival, fripés par la concentration des sucres . Pari osé, pari gagné. Il faut bien un peu d’audace au milieu de la discipline dans la conduite à la vigne comme en cave, un peu d’exceptionnel pour déroger à la rigueur des procédés. Oublier la quantité, se concentrer sur le jus qui coulait avec parcimonie du pressoir, en douceur, en lenteur, en suave volupté sucrée, jus d’or qui attisait la convoitise des guêpes, bourdons et frelons de toutes espèces.
Mis en fûts dès la fin du pressurage, les moûts entamaient leur lent cheminement sous bois, fermentations et élevage dans une nouvelle barrique de deux vins. Très tôt en 2016, les dégustations démontraient une complexité, une ampleur propre à ce millésime en devenir. Nous nous devions d’écouter ce présage, de poursuivre l’élevage avec le même soin qu‘apportaient les anciens, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à leur vins de prestige naturellement doux, dont ils avaient laissé trace, en témoignage, dans les archives de l’Hérault. Chaque dégustation confirmait, au fil des jours et des mois, que la cuvée méritait une attention particulière, que quelque chose de grand se préparait.
La voici, vingt-six mois plus tard, ayant atteint sa maturité en élevage. Avec une conduite à la vigne enherbée, dans la biodiversité retrouvée, sans intrants, en particulier sans sulfites ajoutés en vendanges, comme en vinification et élevage, la cuvée est présentée pour la première fois sans sulfite ajouté à la mise en bouteille. Une belle gageure, qui a pesé les risques, travaillant sur des vins comportant des sucres résiduels, et pris toutes les précautions. Après quatre vinifications, épaulée par un spécialiste des vins doux et liquoreux, je prends ce nouveau pari, qui impose une seule obligation au consommateur : conserver les bouteilles à température constante, sans dépasser 14-15°.
Ce que nous faisons par choix, les anciens le faisaient par contrainte, sans autres moyens que leur connaissance empirique, leur interprétation et une transmission de génération en génération, dans un rapport intense, permanent à la nature. Mettre sa réflexion, ses connaissances, y compris scientifiques, au service de ce lien, se laisser porter par lui, l’accompagner, mais ne plus dénaturer, tel est le propos des Clos de Miège, qui portent Prima Ora comme l’étendard historique et concret de ce que le muscat à petits grains peut produire de simple et de grand à la fois.
En toute première dégustation après mise en bouteille, le vin apparaît dans sa robe d’or intense, tout en rondeur et en complexité. Un nez d’agrumes, épices douces et fleurs blanches (aubépine), finit sur des notes de tabac et de sous-bois. En bouche, le velouté capte les papilles, se déploie sur des fruits confits, coing, pruneau caractéristiques de nos cuvées, et aujourd’hui orange et abricot. Présentée à Paris chez nos fidèles cavistes et auprès de Philippe Faure-Brac au Bistrot du Sommelier, Prima Ora étonne toujours par sa puissance aromatique, sa persistance en bouche « époustouflante », et séduit particulièrement sur ce millésime 2015 par son onctuosité et sa légèreté. Elle emporte le dégustateur dans un voyage dans le passé, à la recherche d’un goût perdu. Une fois encore, le temps a joué sa partition.