Des vendanges historiquement faibles – la plus petite récolte depuis 1945 en Languedoc-, des aléas climatiques répétés, du gel printanier aux courts épisodes de canicule en 2017, une précocité des maturités qui devient la règle, la vigne et le vigneron abordent le moment crucial de la récolte dans une exception qui devient la norme. S’adapter à de nouvelles conditions de production qui s’installent durablement, à l’instar d’évènements climatiques brutaux ou accentués, d’une élévation des degrés et des concentrations des raisins sous les fortes chaleurs estivales, faire les choix les plus pertinents pour ses futures cuvées, tout concourt à une élaboration complexe du prochain millésime.
Les Clos de Miège vivent cette expérience à leur échelle, celle de vins patrimoniaux, privilégiant des rendements bas, à faire pâlir les Romains eux-mêmes sur la vendange passerillée, en surmaturation. Nous avons décidé des derniers passages à la parcelle en accéléré, le 9 septembre, là ou nous avions commencé le 3 septembre l’an dernier. La pluie attendue n’est pas venue, les grappes chargées de sucre attisaient la convoitise de nuées d’étourneaux, de quelques sangliers, de vols groupés de frelons au-dessus du pressoir : il fallait tout rentrer. La nature exprime sa puissance, quels que soient nos désirs ou nos compétences techniques. Mais les dieux étaient avec nous, facilitant les tris de raisin par des maturités hétérogènes, du grain juste mûr jusqu’au pur concentré dans un même rang voire sur une même grappe, nous autorisant une sélection plus large, par pans entiers de parcelle.
Malgré une extraction difficile – peu de jus coule du pressoir -, nous avons choisi de consacrer l’essentiel de la récolte à la qualité en surmaturation. La concentration très rapide en sucres et en arômes des raisins s’y prêtait cette année. Pari audacieux sur les volumes, mais réaliste au vu du nectar sorti de presse. Priorité est donc donnée à l’élaboration de Prima Ora, selon ses modes anciens des XVIIe et XVIIIe siècles. Notre cuvée historique le sera à bien des égards, compte tenu des degrés potentiels, de la qualité du moût, de l’intensité des arômes présents. Choyée dans son grand contenant, elle entame sa vinification, avant un élevage long en fût, de 27 à 31 mois environ. L’Originel de vin naturellement doux n’en est pas délaissé pour autant, même si la quantité sera moins présente. Une vinification par cryoextraction (refroidissement du raisin à température négative) et une stabulation à grand froid des moûts côtoient les gestes ancestraux, dans ce mélange des savoirs et des pratiques qui m’est cher. Seule compte la préoccupation d’aller chercher le meilleur de ce que peut donner le rare raisin.
La météo, grande ordonnatrice de la vie vigneronne, a imprimé une fois de plus son emprise sur ces vendanges, sous le signe de la concentration : concentration accélérée des raisins, concentration maximale des vendangeurs dans le choix des grappes – l’ambiance était bien studieuse cette année-, concentration douce au pressoir pour ne pas abimer le raisin. Les amis présents, les enfants descendus de Paris, les grillades au ceps de vigne et les vins –bio- partagés, ce qui nous lie allège le poids des gestes, adoucit la fatigue accumulée. La vigne allégée de ses grappes prend des airs d’automne anticipé. Les Journées du Patrimoine, où j’interviendrai à nouveau dans mon village, approchent à grands pas, reliant une pratique viticole à son histoire, ses fondements aux Clos de Miège.