Vous connaissez, gardez en mémoire des vendanges ses odeurs de raisin, le ballet des charrois sur les petites routes, collants de sucres, la porte entr’ouverte sur une cave, le pressoir rugissant son moût, expédiant dans vos narines les arômes fraichement pressés, l’âcreté des rafles jetées dans les bennes vides, le jus qui rougit les mains, ravit le gosier, jusqu’à la fièvre qui s’empare du village, même raccourcie à quelques jours avec la mécanisation de la récolte.
Point de tout cela aux Clos de Miège. Vous pénétrez dans le terroir historique du muscat à petits grains. Le seul jus qui coule ici a couleur d’or, sent le musc et le miel. Le temps des vendanges s’étire sur de longues semaines, en un marathon qui nous transforme en coureurs de fond. Se hâter, sans se presser, tenir la distance et la ligne que nous nous sommes fixée.
Atypiques, les vendanges aux Clos de Miège le sont assurément
Par la quantité récoltée, avec des rendements « de Romains », je l’assume.
Par la veille sur la bonne maturité souhaitée, sans céder à la tentation d’un mimétisme ambiant – récolter car tout le monde le fait-.
Par l’étalement des vendanges, dû aux passages successifs à la parcelle (six à ce jour), et le soin coutumier porté au raisin, dans le tri comme à la cueillette, sur une récolte saine, impeccable.
Par leur capacité à rassembler une équipe du tonnerre, capable de veiller sur la sélection des grappes passerillées comme si c’était son raisin, effeuillant pour le tri suivant, afin que le soleil de septembre atteigne tous les grains.
Par l’âpreté des conditions de récolte, dans un millésime qui sera marqué du sceau des calamités en France, dans le Languedoc, et en Pic Saint Loup proche. Il aura fallu ici braver un printemps humide vecteur de maladies, les attaques annuelles d’oïdium, celles, répétées, de sangliers, la sécheresse estivale.
Vendanges atypiques encore par l’apprentissage de la différence entre maturité alcoolique (degré) et phénolique (de la pulpe et du tanin), qui s’est révélée un casse-tête cette année! L’absence de pluies conjuguée en fin d’été à de fortes chaleurs a perturbé les maturations. Les degrés ont grimpé, le grain, concentré en sucres, a perdu du jus, mais le pépin ne mûrissait pas au même rythme.
Il a fallu prendre des décisions techniques: nous avons inauguré des vendanges sans pressurage. Au banc d’essai, une pressée après macération à froid, sur la récolte de la parcelle maritime entrée en (très petite) production, nous a comblé de bonheur, par sa fraîcheur, ses arômes inconnus jusqu’alors de rose et de mandarine. Elle a conforté Benoît dans son choix de macérer longuement le raisin à froid, visant à extraire des arômes plus légers, plus élégants que ceux laissés par l’accélération brutale de la concentration. Les raisins dorés rafraîchissent 21 jours au moins, en rangs serrés. Tension et frustration de ne pas toucher, sentir, travailler le grain récolté au juste moment, montent au fil des jours. Les premiers pressurages commencent le 1er octobre, dans l’ordre de récolte. Les arômes reconnaissables, de coing, coing confit et citron, sont bien là, rassurants, dessinant la patte en bouche d’un Originel en devenir.
Vendanges atypiques, s’il en est, pendant que les raisins patientent en chambre froide, une balade commentée est programmée pour les Journées du patrimoine. Pari un peu audacieux de vendanger et parler dans le même temps du patrimoine viticole que nous ont légué des générations de vignerons à Vic-la-Gardiole. Ils sont là, dans la nécropole, ensevelis avec leur vaisselle vinaire de modestes travailleurs (IVe s.), là dans le tinal (cellier) du XVIe s. où ils forgent la renommée de vin de luxe des muscats, là encore dans la maison vigneronne du XIXe s., où la monoculture de masse nous a légué une architecture vouée au volume, mais où la culture des muscats ne cède pas au vin-aliment. Une dégustation de vins patrimoniaux et de moût juste pressé clôt le parcours. Tout s’enchaîne, en ce mois de septembre, se superpose, coincide en une joyeuse cohérence.
Le muscat à petits grains, autrement
Un dernier passage à la vigne, en pur passerillé, sera travaillé sans macération. Il obéira aux règles de l’art des XVIIe et XVIIIe siècles. Sera-t-il là en assez grand nombre, en assez grande qualité pour envisager une cuvée Prima Ora 2016 ? Pour l’instant, la petite récolte, habituelle pour les Clos de Miège, et même un peu supérieure, donne une très belle qualité. Une très très belle qualité pour ce millésime si difficile, qui demandera une veille et des soins de tous les instants à la vinification et dans les premiers temps de l’élevage.
« Avec le muscat à petit grains, on peut tout se permettre » me confiait Bruno Pastourel, éminent vigneron du Château de La Peyrade à Frontignan, précurseur de l’élaboration de muscats secs et du retour au vin sans mutage dans les années 1990. C’est ce que nous faisons aux Clos de Miège, avec tout le respect dû au vénérable cépage – un des plus anciens du Languedoc-, ce fabuleux cépage, aromatique, fin, subtil et fragile qui m’a conduite, un jour de 2013, à partir à la recherche de goûts perdus. Un goût naturel, gardien d’un environnement, un goût historique, gardien d’une mémoire, pour un vin sentinelle qui alerte sur la disparition d’un patrimoine et de pratiques viticoles d’excellence.
Un vin naturel autrement ? Des échanges sur les réseaux sociaux autour des traditions, des méthodes ancestrales et des apports techniques ou oeonologiques m’interpellent. Depuis quand le retour à des pratiques d’excellence (tri à la parcelle, passerillage, muscat sans mutage) interdirait-il de se nourrir des savoirs et avancées de la science? La maitrise des fermentations, et surtout de l’absence de refermentations!, libère de l’usage de sulfites (à l’exception de la mise en bouteille, où l’apport de S02 est encore incontournable, mais très limité). Je puise dans l’imagination des laboratoires l’usage de protéines végétales bio. Aucune expérience qui apporte une qualité supplémentaire, un travail soigné, dans le respect de son environnement n’est négligée. Vive la macération à froid, qui libère les arômes et redonne vie au raisin! Elle illumine le travail actuel sur l’Originel.
Mélanger les savoirs, sagesse de pratiques transmises ou d’ouvrages savants et brio de découvertes scientifiques, tendre des ponts entre ces savoirs et ces traditions, quelle belle entreprise, en cet instant, que de poursuivre l’apprentissage sans cesse même et différent du métier de vigneronne!