Elle apparaît au détour d’une liasse, dans les Archives départementales de l’Hérault. [1]
Un Opuscule sur la vinification par Melle Élisabeth Gervais [2], écrit par son frère, suivi de lettre de recommandations, datés de 1820, et d’une circulaire du Ministre de l’Intérieur en 1821 pour le faire connaître dans les départements, nous livrent quelques renseignements.
Des fermentations cuve close ont déjà été testées. Selon Chaptal, initiateur de l’œnologie moderne, « le vin fermenté dans des cuves fermées est plus généreux et agréable de goût ». Mais l’évacuation du gaz carbonique n’est pas maîtrisée, les cercles de douelles éclatent sous la pression.
Propriétaire de vignes dans l’Hérault, MelleGervais invente un appareil qui récupère sans dégât les produits volatils, en fermentation cuve close, afin de les restituer au vin, gagnant du volume et de la qualité. Le procédé vise en effet à conserver le plus possible l’odeur, le parfum, le gaz qui se perdent dans l’évaporation. Voici la méthode qu’elle a mise au point : « La vendange, à l’abri dans la cuve de l’influence atmosphérique subit sans aucun danger d’explosion une fermentation graduelle, régulière et subordonnée à l’action seule des matières fermentescibles, de sorte qu’elle est exempte de la violence que peut lui causer l’air libre. 
On recueille, en la dégageant de l’acide carbonique, la liqueur qui va s’évaporer pendant la fermentation ordinaire, et qui, ramenée dans la cuve vinaire, y apporte tous les principes d’alcool et d’arôme dont elle était chargée, y soumet à une nouvelle élaboration et préserve l’acidité, en l’humectant sans cesse, la vendange qu’elle traverse, et dépouille sur son passage la pellicule du raisin de sa vive couleur pour en orner le vin ». [3]
Le procédé fait sensation. Il est breveté par le gouvernement en 1820. Des chimistes et agronomes attestent de son intérêt dans l’opuscule écrit par son frère puis dans nombre d’articles de Sociétés royales d’agriculture (Lyon, Narbonne par exemple). Des recommandations prestigieuses sont sollicitées, dont celle de Chaptal, qui lui répond, enthousiaste : « Je vois que vous avez résolu un des problèmes les plus importants d’œnologie ».  Des démonstrations ou expériences organisées pour promouvoir l’appareil  assurent sa diffusion et son succès partout en France.
Très vite, des voix s’élèvent, l’accusant de plagiat. Elle aurait copié les travaux d’un professeur de l’académie de physique de Metz, Dom Nic. Casbois, parus en 1782 [4]. Dans les milieux bordelais, ses résultats d’expérimentation, mis en doute, provoquent une levée de boucliers. Elle essuie alors, depuis Paris où elle réside, un grand nombre d’attaques sur la validité de ses travaux.
C’est l’œnologue bordelais Émile Peynaud qui, fin XXesiècle, la remet en lumière dans son ouvrage Le vin et les jours (1988). Il nous raconte que « « l’engouement pour ce système dura une ou deux décennies. L’installation est par la suite simplifiée, en conservant le meilleur de l’invention, la cuve fermée par de planches bien jointes, tenues gonflées par arrosage et lutées à l’argile, ou la cuve jablée comme un tonneau avec une trappe (…)  Depuis cette date, la récupération des produits évaporés continue périodiquement à intéresser quelque expérimentateur ».
Croisée lors de mes recherches, Elizabeth Gervais reste une énigme. L’ouvrage qui décrit son travail est écrit par son frère bien que le procédé et le brevet portent son nom.
Dans les archives départementales de l’Hérault, je n’ai trouvé trace que d’elle, seule représentante de femmes absentes des sources écrites, absentes de l’histoire du vin en Languedoc. Saluons d’autant plus l’initiative du Conseil départemental de l’Hérault qui, à l’occasion de sa grande collecte d’archives sur l’histoire des femmes a choisi, en 2019, de rassembler et de numériser des documents, professionnels ou familiaux, éclairant la thématique des femmes et la terre : journaux intimes, carnets , correspondances, mais aussi photographies, tracts et affiches.

Lien vers un article précédent: https://lesclosdemiege.fr/2017/03/femmes-du-vin-les-grandes-absentes-de-lhistoire/

[1] 7M 444, ADH
[2]Opuscule sur la vinification, traitant des vices des méthodes usitées pour la fabrication des vins, et des avantages du Procédé de Melle Gervais, brevetée du Gouvernement par ordonnance de S.M. Louis XVIII pour la même fabrication », Jean-Antoine Gervais, Montpellier, Imprimerie de J ; -G. Tournel, 1820
[3]J.-A. Gervais, op.cit.
[4]Ce procédé (…) n’est-il pas tout entier, théorie et pratique, dans les phrases suivantes de Nic Casbois en 1782 (Affaires des Évêchés, N°32, 1782) accuse La France littéraire, ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, Joseph Marie Quérard, Paris, Firmin Didot, 1828, vol 3

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