La conduite de la vigne amène à faire quelques paris, à jouer avec la météo et, plus souvent, à se jouer d’elle. Passer entre les gouttes pour appliquer les préparations en prévention des maladies, viser la bonne température (25°) pour soufrer, attendre que le vent tombe, que le jour se lève… Miser qu’il ne pleuvra pas pour son événement annuel, le 27 mai, malgré de mauvaises prévisions, relevait de cette audace nécessaire, sans laquelle nous nous laisserions submerger par le poids des contraintes ou par une forme de fatalisme. Nous avons reporté au 6 juillet les dernières animations, balade et dégustation en bord d’étang … entre deux matches de la coupe du monde de football. Et vous avez malgré tout été nombreux à répondre présents à cet appel vers la nature et des patrimoines vivants. Merci !
Nous nous sommes portés, depuis les vignes du Domaine de la Belle Dame, vers la zone humide qui déploie encore, entre Aigues-Mortes et Agde, étangs, marais et salins. Abrités derrière un cordon lagunaire sableux, tel un lido vénitien, ils se mêlent en un espace hors normes, entre terre et eau. Paradoxe s’il en est, c’est là qu’est née la viticulture sur nos rivages méditerranéens. Fragiles, car menacés de submersion marine, de pollution, sauvages, ils sont depuis quelques décennies protégés par un ensemble de dispositifs. Le site classé de la Gardiole, la charte Natura 2000, une Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF), une Zone de Protection Spéciale (ZPS) des Etangs palavasiens encadrent l’activité humaine, les espèces et leur environnement, surveillent les ressources en eau. L’air et la terre se muent en paradis des oiseaux migrateurs, tels la cigogne blanche, et de leur reproduction, à l’exemple des sternes et des flamants roses. Des amphibiens et reptiles, des insectes si précieux évoluent, entre tamaris et roseaux, obione et salicorne.

Déception pour nos marcheurs s’ils croyaient aller à la rencontre d’une belle dame, c’est un papillon qui nous attend. Commun – vous avez sans doute aperçu ses ailes couleur saumon aux tâches noires et blanches  -, capable de prouesses comme voler 500 kms sans se poser pour rejoindre l’autre rive de la Méditerranée, le lépidoptère migre vers l’Afrique et revient au printemps se poser sur ces terres parsemées de chardons. Il les affectionne tant qu’il leur doit son nom de vanesse des chardons, vanessa cardui, dite Belle dame, donnant en retour son nom au tènement qui l’accueille. Dans cette aire, une viticulture propre prend tout son sens et son acuité.
Plus loin, nous admirons l’Eglise fortifiée du XIIe s. à Vic-la-Gardiole, faisant face à Maguelone, sa puissante église tutélaire qui régnait en maître sur les terres –et les ressources de la mer et des étangs. Elle les partageait avec difficulté avec les Guilhem de Montpellier sur ses fiefs de Mireval. Un paysage de toute beauté arrête nos pas. Les flamants mêlent leurs couleurs à l’eau, à la végétation, baignés d’une lumière descendante. Du marais, se dégagent le clocher du village de Mireval, le massif de la Gardiole et son Mont Baudile. Nous écoutons les recommandations d’Alain Campos, guide nature et gardien du patrimoine, sur les bons comportements à adopter. La légende des douze travaux d’Héraclès/Hercule, nous emporte, qui donne naissance la voie héracléenne et aux anciens chemins saliniers, présents dès l’antiquité. Le sel, ressource essentielle à la conservation des denrées, objet de convoitises au Moyen-Age subit l’arrêt brutal de sa production par l’Edit d’Henri IV en 1596. L’activité, reprise en 1790 jusqu’en 1969, a laissé des traces, comme les rails des wagons encore présents à Frontignan, la dureté d’un labeur qu’évoque pour nous Alain Campos.

Poursuivant notre marche jusqu’en bord d’Etang de Vic pour évoquer la naissance de la viticulture in situ, une surprise de taille nous happe. Des flamants roses posés là, par dizaines, par centaines, en plusieurs colonies tout le long de la rive, s’offrent aux objectifs que chacun s’empresse de saisir. A mots feutrés, nous plongeons dans l’Antiquité, lorsque Phocéens, Etrusques et Romains, accostent sur nos rivages, commercent et propagent l’art de faire du vin auprès des Gaulois. Nous remontons avec émotion à la naissance du goût du vin, donné par les Phocéens aux occupants de l’oppidum de la Robine, sur la Combe de Bestiou. Les amphores massaliotes brisées portent trace de cet échange, peut-être contre du minerai de fer présent sur la Gardiole. Une production massive, uniformisée sur toute la Narbonnaise, encadrée par les auteurs romains, s’organise avec la conquête à partir du Ier s. avant notre ère.
Les hiérarchies antiques en attestent, leur préférence va aux vins blancs, doux en particulier. A la différence de la clairette, nous ne possédons pas de traces attestées du muscat à petits grains, diffusé sous le nom de apiana uva, raisin apian, aimé des abeilles, gorgé de sucre, à la maturité précoce. Ainsi le décrivait Pline l’Ancien, et pouvons-nous envisager sa présence là, à nos pieds, sur ces domaines, ces villae installées en vue d’une viticulture de rapport, largement exportatrice vers Rome et au-delà, par le biais du port de Lattara (Lattes) proche. Dans l’âge d’or du Ier au IIIe s. de notre ère, nous avons ici affaire à un grenier à vin, en quelque sorte. Alors que dans l’antiquité tardive, l’activité décline, ici, elle perdure jusqu’au Ve s., au moment où, sur le point proche le plus élevé, à 7m au-dessus du niveau de la mer, un regroupement d’hommes donne naissance à un vicus. Une nécropole le rappelle, le mobilier funéraire atteste d’une population modeste, laborieuse. Oui, ici on travaille, et cela dure depuis presque 2500 ans.

Nous bouclons la boucle, revenant à ces origines par une dégustation de vins respectueux de leur environnement, dans la diversité de leur élaboration : en conversion bio, avec les Remparts de Cucculles Rosé, léger et fruité, AOP Pic-Saint-Loup 2017, sans sulfite ajouté avec le Domaine de l’Estagnière, IGP Cité de Carcassonne Rouge 2017, très boisé et fruité, labellisé bio et en biodynamie (Demeter) avec le Domaine de Costeplane, AOP Languedoc Rouge 2015, tout en fruit, épices et cacao, suavité. L’Originel, vin naturellement doux, des Clos de Miège, en production naturelle sur de vieux muscats à petits grains clôture la dégustation de vins dont le travail respecte, accompagne, suit la nature. Celle-ci nous l’a rendu au centuple, en nous proposant des envols et ballets de colonies de flamants au-dessus de nos têtes. Ils allaient et venaient, entre étang et marais proche, peu dérangés par notre présence qui, il est vrai, se faisait discrète et respectueuse. Les vins bio, c’est aussi cela, c’est surtout cette éthique-là.
Alors, dans une nature chargée d’histoire, imprégnée de ces vins qui ont fait le renommée du lieu, sous un soleil déclinant en douceur, dans le partage de sensations et de saveurs, nous pouvons croire, plus légers et gais, que le temps a suspendu son vol quelques instants.

« Et vous, heures propices, `
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours »
Alphonse de Lamartine,
Le lac

Encore merci à vous, valeureux marcheurs !
La partie historique de la balade sera développée au cours d’une balade spéciale.
RDV à l’automne

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