« La vigne est la plante délicate par excellence. Elle exige des soins constants, une sorte d’intelligence ou de divination manuelles. Puis, un beau matin, une gelée, un coup de grêle emportent tout. Dans ces soucis, dans cette précarité, le plus humble paysan puise le sens d’une vie supérieure. De se savoir à la merci d’un nuage prédispose l’âme à la métaphysique, à la religiosité, – aux chimères aussi…
Le vin , d’ailleurs, est aujourd’hui l’âme de ce territoire, et son espèce de dieu. Il lie et centre l’esprit d’un peuple entre tous individualiste, et dont la vie sociale risque de retourner à la tribu. Il l’enjolive aussi et le pare de ses grâces. Il lui apporte la dorure de Bacchus. »
La belle Aude, Joseph Delteil

Nous manquions d’eau. Deux ans que les vignes, qui affectionnent pourtant la chaleur du Languedoc, tiraient la langue sous un soleil de plomb. Sécheresse, voire stress hydrique ou concentration accélérée des sucres et des degrés avaient rythmé les étés 2016 et 2017, perturbant les vendanges, accréditant des dérèglements signes de changements climatiques largement débattus.
Voilà que la pluie salvatrice du printemps 2018, venue reconstituer les nappes phréatiques, s’est muée en torrents d’eau. Trombes et averses de grêle ont décimé les vignobles en une cruelle litanie, au moment où les fleurs fécondées se transforment en grains, porteurs de récolte. Sur les réseaux sociaux, s’allument les feux signalant, tels les ermites anciens leur présence, le passage de l’orage mortifère.
Voilà le cortège de maladies accouru se repaître de l’humidité stagnante, qu’aucun jour de franc soleil et de vent n’a eu le temps d’assécher. Black-rot et surtout mildiou ont ravagé l’Hérault. François Henry, du Domaine Henry à Saint-Georges d’Orques, me confiait qu’il n’avait souvenir d’une telle attaque qu’en 1977 et 1992. En culture biologique peu de moyens sont à la disposition du vigneron, qui met l’accent sur la prévention. Malgré de nombreux traitements anticipateurs, certains ont tout de même essuyé de lourds dégâts. Injuste retour de la nature qui fait fi du travail accompli, de l’attention portée aux ceps, à l’environnement et balaie les espoirs de faire enfin une bonne récolte.

Aux clos de Miège, laissés longtemps enherbés haut, nous avons évité le mildiou par des traitements manuels, pied à pied : écorces d’oranges pour renforce la plante, bouillies maison dynamisées à l’eau de mer, algues, retour au cuivre (dont nous nous étions petit à petit passé). C’est la coulure, consécutive aux pluies sur la floraison, qui a abimé une partie des parcelles, pourtant taillées tard, privant les grappes de tous ou quelques grains. Aujourd’hui, en un rituel renouvelé, nous nous préparons à dresser nos barrages contre le Pacifique [1], inlassables travaux pour repousser l’oïdium, point faible du muscat à petits grains. Nous savons qu’il gagnera toujours à la fin, un peu, de moins en moins, sur nos traitements, alternés avec les soins sur la plante, le tout en mode manuel: épamprage des pieds, écimage des apex [2], les deux mamelles de la prévention pour bloquer la montée ou la descente du champignon sur la grappe. Doublés d’un éclaircissage au centre des feuilles, qui favorise l’assèchement des ceps avec l’aide du mistral, ces patients travaux cisellent une nouvelle coupe à nos vieilles souches. Une coupe pour couper court aux maladies, pour tailler en pièces ce maudit oïdium. Ne rien lâcher, ne rien céder pour conserver les précieux raisins, garantir le meilleur état sanitaire possible, s’offrir, en vendange, la possibilité d’aller, en surmaturation, jusqu’au passerillage.

Avec l’été, arrive cette période cruciale et curieuse, où le vigneron ne sait plus où donner de la tête : à la vigne pour ses raisins, à la vente, à la réception dans les caveaux du flux de touristes sur nos côtes, au chai pour préparer ses vendanges. Occupée à la diffusion de l’Originel dans sa mise en bouteille 2018 et de Prima Ora 2015, à des événements festifs et à de prochaines balades commentées, je partagerai avec vous ces grains devenus précieux nectar. Nous prendrons bien une petite coupe, d’or et d’arômes fondus sous le soleil, coing et miel, noix et agrumes mêlés, nés de ce parcours cheminant dans l’incertitude du temps.

[1] Voir l’article : « Un barrage contre le Pacifique », 14 juin 2017
[2] épamprer : débarrasser le pied des petites repousses de l’année, non fructifères
apex : extrémité de la tige que l’on coupe en écimant

Le cycle du printemps à la vigne

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